Le songe de Ronabwy
Madawc, fils de Maredudd
(1), était maître de Powys
dans toute son étendue, c'est-à-dire depuis Porfordd
jusqu'à Gwauan, au sommet d'Arwystli
(2).
(1)
Maredudd ou Meredydd, fils
de Bleddyn ab Cynvyn, était
un prince cruel et brave. Il lutta
avec vaillance et succès contre les Anglo-Normands;
il obligea même à la retraite le roi Henri Ier, qui avait envahi ses États. Il mourut en 1124 ou 1129, dans un âge avancé, ce qui était rare, dit le Brut y Tywysogion ou Chronique des princes,
dans la famille de Bleddyn, et, pourrait-on ajouter, dans toutes familles de chefs gallois (Brut y Tywysogion, p.
647 et suiv.; 707,
col. 1 et 2). Le nom de Meredydd est, en vieux gallois, Marget-iud (cf. J. Loth, Chrestomathie bretonne, à Margit-hoiarn). Ses
États furent partagés entre ses fils Madawc et Gruffydd. Celui-ci
étant venu à mourir laissa ses États à son fils Owen Cyfeiliog, barde de grand renom. En 1167, Owen Cyfeiliog et son cousin, le
fils de Madawc, Owen ap Madoc ap Maredudd,
chassent leur oncle, Iorwerth Goch,
ou le Rouge, qui avait épousé une Normande,
Maude, fille de Roger de Manley, du comté de Chester, et paraît avoir été soutenu par les Anglo-Normands, et se partagent ses terres; Owen Cyfeiliog
prend Mochnant Uch Rhaiadr et Owen ap Madoc, Mochnant Is Rhaiadr (Myv. arch., p.712, col.
2; cf. History of
the lordship of
Cyfeiliog, par Th. Morgan, Arch. Cambr., XIII, 3ème série,
p. 125). Le fils d'Owen Cyfeiliog, Gwenwynwyn, a
donné son nom la partie sud de Powys, et Madawc, son oncle à la partie nord. Sur la division de Powys en Powys Vadog et Powys Wenwynwyn, voir Myv. arch.,
p.735.736.
Madawc est souvent célébré par les poètes de son temps (Myv. arch., p. 147, 154, 155, 156; L. noir, ap. Skene, poèmes XXXVI, XXXVII). Sur les privilèges des hommes de Powys, v. Ancient laws, II, p 742, 743.
(2)
Le royaume de Madawc s'étendait du voisinage de
Chester aux hautes terres d'Arwystli, c'est-à-dire la chaîne du Pumlummon (cf. Gwolchmai dans l'Elégie de Madawc. Myv. arch., 147; Lady Guest, Mab. II, p. 420 d’après le Rév.
Walter Davies (Gwalter Mechain). Porfordd est évidemment Pulford.
Il
avait un frère qui
n'avait pas une aussi haute situation que lui, Iorwerth, fils de Maredudd. Iorwerth fut pris d'un grand chagrin et d'une grande tristesse en considérant
l'élévation et les grands
biens de son frère, tandis que lui-même n'avait rien. Il réunit ses compagnons et ses frères de lait, et délibéra avec eux sur
ce qu'il avait à faire
dans cette situation. Ils décidèrent d'envoyer quelques-uns d'entre eux réclamer
pour lui des moyens
de subsistance. Madawc lui proposa la charge de penteulu (1),
les mêmes
avantages qu'à lui-même,
et chevaux, armes, honneurs. Iorwerth refusa, s'en alla vivre de
pillages jusqu'en Lloeger, et se mit à tuer, à briller, à
faire des captifs. Madawc et les hommes de Powys tinrent
conseil et décidèrent
de charger cent hommes par trois Kymwt en Powys de se mettre à sa recherche.
(1)
Penteulu, chef de famille. C'est le personnage
le plus important après le roi. Il est dans
les Lois quelque chose comme le Major
domus, et c'est en même temps un véritable chef de clan. Il a en petit, dans le clan, les mêmes privilèges
que le roi (Ancien Laws, I, p. 12, 190, 358, 636, etc., etc.).
Ils
estimaient autant la
plaine de Powys (1), depuis Aber Ceirawc (2) en Allictwnver (3) jusqu'à Ryt Wilvre (4) sur Evyrnwy (5), que les trois meilleurs Kymwt du
pays. Aussi ne voulaient-ils pas que
quelqu'un qui n'avait pas de biens de famille en Powys, en eût dans cette plaine.
Ces
hommes se divisèrent en troupes à Nillystwn Trevan (6), dans cette
plaine. Il y avait à faire partie de cette recherche un certain Ronabwy.
(1) Il s'agit
probablement des environs d'Oswestry. Le poète Cynddelw (douzième siècle), chantant les exploits de Llywelyn ab Iorwerth (Llywelyn le Grand),
mentionne le Rechdyr Croesoswallt (Oswestry) (Myv. arch., p. 175, col.
1). Rhychtir signifie
proprement terre arable; terre à sillon. Cette plaine, qui est ici distincte de Powys proprement dit était peuplée de
gens de langue anglaise, semble-t-il,
au moins en grande partie.
(2) Aber Ceirawc est l'endroit où
(3) Allictwn paraît être Allington,
non loin de Pulford. Le texte ym Allictwn ferait supposer Mallictwn ou Ballictwn.
(4) Ryt y Wilvre peut
être, d'après lady Guest, Rhyd
y Vorle, en anglais Melverley,
passage sur
(5) Aujourd'hui Y Vyrnwy, affluent de
(6) Peut-être Haliston
Trevan ou Halston, près Whittington.
Il
se rendit avec Kynnwric Vrychgoch (0), homme de Mawddwy,
et Kadwgawn Vras (1), homme de Moelvre
en Kynlleith (2),
chez Heilyn
Goch (3), fils de Kadwgawn fils d'Iddon. En arrivant près de la maison, ils virent une vieille salle toute noire, au
pignon droit, d'où sortait une
épaisse fumée. En entrant, il aperçurent un sol
plein de trous, raboteux. Là où le sol se bombait, c'est à peine si on pouvait
tenir debout, tellement il était
rendu glissant par la fiente et l'urine du bétail. Là où il y avait des trous,
on enfonçait, jusque par-dessus le cou de pied, au milieu d'un mélange d'eau et d'urine d'animaux. Sur le sol étaient répandues en abondance des
branches de houx dont le bétail avait brouté les extrémités. Dès l'entrée, le sol des appartements
s'offrit à eux poussiéreux et nu.
D'un côté était une vieille en train
de grelotter;
lorsque le froid la saisissait trop, elle jetait plein son tablier de balle sur
le feu, d'où une fumée qui vous
entrait dans les narines et qu'il eût
été difficile à qui que ce fut de supporter.
(0) Kynnwric Vrychgoch ou le rouge-tacheté, est le même personnage probablement que le Kynwric
du Brut g Tywysogion, tué par l famille de Madawc
ab Maredudd (Myv. arch., p. 623, col. 2). Mawddwy était un cymwd du cantrev de Cedewain en Powys Wenwynwyn (Myv. arch., p. 736; c'est aujourd'hui, avec Talybont, un district du Merionethshire.
(1) Cadwgawn Vras ou le Gros, n'est
pas autrement connu (vieil armor. Catwocon).
(2) Cynlleith était un cymwd du cantrev
de Rhaiadr en Powys Vadog (Myv. arch., p. 736;
ce district est mentionné par Cynddelw dans son élégie sur Madawc,
ibid., p. 155). Cynllaith est en Denbighshire, â l'ouest d'Oswestry en Shrophire. Il
comprenait les paroisses de Llansilin et Llanarmon Dyffryn Clwyd. (Egerton Philimore, Owen's Pembrok., p. 204, note 1.) Le Moelvre est une montagne isolée de ce district.
(3)
Un des signataires de la paix entre Llywelyn et Edouard 1er, en 1274, porte le nom de Grono ap Heylin.
Iddon est,
en vieil armoricain, Iudon
= Iuddon.
De
l'autre côté était jetée une peau de veau jaune. C'eût été une bonne fortune pour celui d'entre eux qui aurait obtenu de
s'étendre sur cette peau (1).
Lorsqu'ils
furent assis, ils demandèrent à la vieille où étaient les gens de la maison. Elle ne leur répondit que par des murmures. Sur ces
entrefaites entrèrent
les gens de la maison :
un homme rouge, légèrement chauve, avec un reste de
cheveux frisés, portant
sur le dos un fagot; une petite femme, mince et, pâle, ayant elle aussi une brassée de branchages. Ils saluèrent froidement leurs
hôtes et se mirent à allumer
un feu de fagots; la
femme alla cuire et leur apporta leur nourriture : du pain
d'orge, du fromage, et
un mélange d'eau et de lait. A ce moment s'éleva une telle tempête de vent et de pluie, qu'il n'eût
été guère facile de
sortir, même pour une affaire de première nécessité. Par suite de la marche pénible qu'ils avaient faite, les
voyageurs ne s'en sentirent pas le courage et allèrent se coucher. Ils jetèrent les yeux sur la couche: il n'y avait dessus qu'une paille courte, poussiéreuse,
pleine de puces, traversée de tous côtés par de gros branchages; toute la paille, qui dépassait la tête et
les pieds (2), avait
été broutée par des bouvillons.
(1) Bonne fortune, traduit blaen bren, bois du sommet, bois heureux; sur le
sort par des morceaux de bois, cf. J. Loth; Le sort chez les Celtes
et les Germains,
Revue Celt., 1895, p. 313; Le sort et l'écriture chez les anciens Celtes, Journal des Savants, 1911
(2) Suppléez : des gens qui y couchaient (ici, des voyageurs qui. allaient
y coucher).
On
avait étendu dessus une sorte de couverture de bure, d'un rouge pâle, dure et usée, percée; par-dessus la bure, un gros drap tout troué; sur
le drap, un oreiller à moitié vide, dont la couverture était passablement sale.
Ils se couchèrent. Après avoir été tourmentés par les puces et la dureté de leur
couche, les deux compagnons
de Ronabwy tombèrent dans un profond sommeil. Quant à lui, voyant qu'il
ne pouvait ni dormir
ni reposer, il se dit qu'il souffrirait moins s'il allait s'étendre sur la peau
de veau jetée sur le sol. Il s'y endormit en effet.
A
l'instant même où le sommeil lui ferma les yeux, il se vit en songe, lui et ses compagnons, traversant la plaine d'Argyngroec (1); il lui semblait qu'il avait pour but et objectif Rhyd
y Groes (2) sur
(1) Argyngroec, aujourd'hui Cyngrog, est divisé en deux
parties Cyngrog vawr, dans a paroisse de
Pool, et Cyngrog vach, dans
celle de Guilsfield; le tout sur es bords de a Severn, près de Welshpool, comté de Montgomery.
2)
Rhyd y Groes ou le gué de la croix, un peu plus bas que Berrew ou le confluent de
Le
cavalier portait une
tunique de paile jaune, cousue avec de la soie verte; il avait, à sa
hanche, une épée à poignée
d'or dans un fourreau de cordwal neuf, dont les courroies étaient de cuir de
daim et la boucle en or.
Par-dessus, il portait un manteau de paile jaune cousu de fils de
soie verte; la bordure du manteau était verte. Le vert de ses habits et le vert du cheval était aussi
tranché que le vert des feuilles du sapin, et le jaune, que le jaune des fleurs
du genêt.
Le
chevalier avait l'air si belliqueux, qu'ils prirent peur et s'enfuirent. Il les poursuivit. Chaque
fois que son cheval respirait, ils s'éloignaient de lui; chaque fois qu'il aspirait, ils approchaient jusqu'au poitrail du
cheval. Il les atteignit, et ils lui demandèrent grâce.
« Je vous l'accorde », répondit-il;
« n'ayez pas peur. »
- « Seigneur, dit Ronabwy,
« puisque tu nous fais grâce, nous
diras-tu qui tu es? »
- « Je ne vous cacherai pas ma race je suis Iddawc
(1), fils de Mynyo; mais ce n'est pas mon nom que je
suis le plus connu: c'est par mon surnom. »
(1) Iddawc (vieil-armor. Iudoc). Dans les Triades, une des trois trahisons secrètes lui est attribuée; il trahit Arthur. Sa réunion avec Medrawd a lieu à Nanhwynnain . c'est une des trois réunions pour trahison. Il devient ainsi l'auteur d'une des
trois batailles frivoles de l'île, la
bataille de Camlan (Myv. arch., p. 403, 20, 22; p. 405,
50). Lady Guest l'a confondu avec Eiddilic
Gorr, qui est un personnage très différent. Les Triades lui donnent e surnom
de Corn Prydain.
Cordd est
préférable; il faut le rapprocher de corddi, agiter
et mêler, baratter. Il est passé dans le rang des saints, confondu peut-être avec un autre personnage, Iddew
(Rees, Welsh saints,
p. 280). Les généalogies de saints de a Myv.
l'appellent Iddew Corn Prydain
ab Cowrda ap Kradog freichtras ap Llyr Merini
(Myv. arch., p. 426, col. 2), mais dans certaines généalogies il est appelé Iddawc Corn Prydain ap Caradawc Vreichvras
(Iolo mss., p. 123).
-
« Voudrais-tu nous le dire? »
-
« Oui : on m'appelle Iddawc Cordd Prydein. »
-
Seigneur », dit Ronabwy,
« pourquoi t'appelle-t-on ainsi ? »
-
« En voici la raison. A la bataille de Kamlan,
j'étais un des intermédiaires entre Arthur et Medrawt
son neveu. J'étais jeune, fougueux. Par désir du combat, je mis le trouble
entre eux. Voici comment: lorsque l'empereur Arthur m’envoyait à Medrawt pour lui représenter qu'il était son père
nourricier et son oncle, et lui demander de faire la paix afin d'épargner le
sang des fils de rois et des nobles de l'île de Bretagne, Arthur avait beau
prononcer devant moi les paroles les plus affectueuses qu'il pouvait, je
rapportais, moi, à Medrawt les propos les plus
blessants. C'est ce qui m’a valu le surnom d'Iddawc Cordd Prydein, et c’est ainsi que
se trama la bataille de Kamlan. Cependant trois nuits
avant la fin de la bataille, je les quittai et j'allai à Llechlas
(1) en Prydein pour faire pénitence. J'y restai sept
années ainsi et j'obtins mon pardon. » A ce moment, ils entendirent un bruit beaucoup plus violent
qu'auparavant. Ils regardèrent dans la direction du bruit, et aperçurent un jeune homme aux cheveux roux, sans barbe et
sans moustache à l'aspect princier, monté
sur un grand cheval rouge mais qui, depuis
le garrot d'un côté et depuis genoux de l'autre jusqu'en bas, était jaune.
(1)
Llechlas ou
la pierre plate, pâle ou verdâtre, peut-être Glasgow, dit lady Guest, je ne sais pour quelle raison.
Lui,
il portait un habit de paile rouge, cousu avec de
la soie jaune; la
bordure de son manteau était jaune. Le
jaune de ses habits et de son cheval était aussi jaune que la fleur du genêt, le rouge, que le sang le plus rouge du monde. Le chevalier les atteignit et demanda à Iddawc s'il
aurait sa part de ces petits hommes.
« La part qu'il me convient de donner, » répondit Iddawc, « tu
l'auras: tu peux être leur compagnon comme je le suis. »
Là-dessus, le chevalier s'éloigna.
« Iddawc », dit Ronabwy,
« quel est ce chevalier? »
-« Ruawn Pebyr,
fils du prince Deorthach. »
Ils
continuèrent leur marche à travers la plaine d'Argyngroec, dans la
direction de Ryd y Groes sur
« Dieu vous donne bien,» dit Arthur. « Où as-tu trouvé, Iddawc, ces petits hommes-là ? »
-
« Plus
haut là-bas, seigneur, » répondit Iddawc,« sur la route. » Arthur eut alors un sourire
amer.
- « Seigneur, » dit Iddawc,
« pourquoi ris-tu ? »
- « Iddawc, » répondit-il, « je ne ris pas; cela me fait pitié de voir des hommes aussi méprisables que ceux-là garder
cette île après qu'elle
a été défendue par des hommes comme ceux d'autrefois. » Iddawc dit alors à Ronabwy
:
« Vois-tu à la main de l'empereur cette
bague avec la pierre
qui y est enchâssée ? »
- « Je la vois. »
- « Une des vertus de cette pierre,
c'est qu'elle fera que
tu te souviennes de ce que tu as vu cette nuit; si tu n'avais pas vu cette pierre, jamais le moindre souvenir de cette
aventure ne te serait venu à l'esprit. »
Ensuite Ronabwy vit venir une
armée du côté du
gué. « Iddawc, » dit-il, « à qui appartient cette troupe là-bas ? »
- « Ce sont
les compagnons de Ruawn Pebyr. Ils peuvent prendre
hydromel et bragawt (1) à leur gré, comme marque d'honneur, et faire la cour, sans qu'on y
trouve à redire, à toutes
les filles des princes de l'île de Bretagne; et ils le méritent, car, dans tout
danger, on les trouve à
l'avant et ensuite à l'arrière. »
(1) (reprise d’une note dans Kulhwch et Olwen) : Bragodi est pris ici dans un sens général. Il ne s'agit probablement pas spécialement de la boisson appelée bragawd, dont les Anglais ont fait bragget, boisson faite de malt, d'eau, de miel et de quelques épices. Les autres boissons des Bretons étaient le cwrv (cwryv et cwrwv avec une voyelle irrationnelle, auj. cwrw = curmen), c'est-à-dire de la bière, et le medd, moyen breton mez « hydromel » (d'où l'armoricain mezo, gall. meddw, « ivre » ). Dans un passage des Lois qui traite de la quantité de liqueur due à certains officiers de la cour, il est dit qu'ils ont droit à une mesure pleine de bière, à une mesure remplie à moitié de bragawd, et à une mesure remplie au tiers de medd (Ancient laws, I, p. 44).
Chevaux
et hommes, dans
cette troupe, étaient rouges comme le sang; chaque fois qu'un cavalier s'en
détachait, il faisait
l'effet d'une colonne de feu voyageant à travers l'air. Cette troupe alla tendre ses
pavillons plus haut que le gué. Aussitôt après ils
virent une autre
armée s'avancer vers le gué. Depuis les arçons jusqu'en haut, le devant des chevaux était aussi blanc que le lis;
et jusqu'en bas, aussi noir que le jais. Tout à coup un de ces cavaliers se porta en avant, et brochant des éperons
poussa son cheval dans
le gué, si bien que l'eau jaillit sur Arthur, sur l'évêque et tous ceux qui
tenaient conseil avec eux
: ils se trouvèrent aussi mouillés que si
on les avait tirés de l'eau. Comme il
tournait bride, le valet qui se
tenait devant Arthur frappa son cheval sur les narines, de l'épée au
fourreau qu'il avait à la main;
s'il avait frappé avec l'acier, c'eût été merveille s'il n'avait entamé chair
et os. Le chevalier tira à moitié son
épée du fourreau en s'écriant :
« Pourquoi as-tu frappé mon cheval?
est-ce pour m'outrager ou en guise d'avertissement ? »
- « Tu
avais bien besoin d'avertissement;
quelle folie t'a poussé à chevaucher
avec tant de brutalité que l'eau a
rejailli sur Arthur, sur l'évêque sacré et leurs conseillers au point
qu'ils étaient aussi mouillés que si on les
avait tirés de la rivière ? »
- « Eh
bien, je le prends comme avertissement. » Et il
tourna bride du côté de ses compagnons.
« Iddawc, »
dit Ronabwy, « quel
est ce chevalier? »
- « Un jeune homme qu'on regarde comme le plus courtois et le sage de cette île, Addaon
(1), fils
de Teleessin »
- « Quel est celui qui a
frappé son cheval? »
- « Un jeune homme violent,
prompt, Elphin, fils
de Gwyddno (2). »
(1) Avaon ou Addaon, fils de Taliesin, est un des trois princes taureaux
de bataille. (Triades Mab., 303, 18). C'est un des trois aerveddawc ou
chefs qui se vengeaient du fond de leurs tombes (Ibid., p. 304, 7). Il est tué par Lawgat Trwmbargawt Eiddin, et c'est un des trois meurtres funestes (Myv. arch.,
p. 390, col. 2). II
est fait mention de lui dans les Propos des sages (Iolo mss., p. 254). Il est assez remarquable que Taliesin
ne parle pas de lui, excepté
peut-être dans un passage (Skene, p. 175, v. 25).
(2) Elphin ab Gwyddno. Sa généalogie
est donnée dans la noblesse des hommes
du Nord, c'est-à-dire des Bretons de StratClut : Elffin, mab Gwyddno, mab Cawrdav,
mab Garmonyawn, mab Dyvynwal Hen
(Skene, II, p. 454). D'après une tradition qui paraît avoir été fort répandue, Elffin ab Gwyddno aurait été délivré de la prison où le tenait Maelgwn de
Gwynedd, par le pouvoir de la poésie de Taliesin son
barde (Iolo mss., p. 71, 72, 73) : « Je saluerai mon roi... à a façon de Taliesin voulant délivrer Elfin, »
dit Llywarch
ab Llywelyn, poète de la fin du XIIème siècle,
s'adressant à Llywelyn
ab Iorwerth (Myv. arch., p. 211, col. 2). Taliesin le dit en propres termes : « Je suis venu à Deganhwy pour discuter
avec Maelgwn..., j'ai délivré mon maître en présence
des nobles, Elphin
le prince » (Skene, II, p. 154, 19). Dans un autre passage, il
supplie Dieu de délivrer Elphin de l'exil, l'homme
qui lui donnait vin, bière, hydromel
et grands et beaux chevaux (Ibid., p.
161. 29; 165, 1-6;
voir d'autres mentions d'Elphin, p. 137, 15;
131, 16; 216, 16).
Le poète Phylip Prydydd (1200-1250), dans
un poème contre es bardes de bas
étage, dit qu'ils ont toujours été en
lutte avec les vrais bardes, depuis la dispute d'Elffin
avec Maelgwn (Myv. arch., p. 238, col.
2). Cette querelle est exposée dans Hanes Taliesin
donnée par lady Guest à la fin des Mabinogion. Maelgwn tenant cour à Deganhwy,
les bardes se mirent à accabler le roi
de louanges, à dire que personne ne le surpassait en grandeur, en beauté, et, en particulier, que sa femme
était la plus sage et la plus belle
des femmes. Elphin, présent, soutint que sa femme à lui était aussi vertueuse que n'importe quelle
femme du royaume et son barde plus
habile que tous ceux du roi. Le roi; furieux, le fait jeter en prison. Il envoie son fils Run pour séduire la femme d'Elphin, qui se joue de lui en se déguisant
en servante, et en donnant une
servante pour elle. Taliesin va à Deganhwy,
et, par sa magie et ses vers, fait
tomber les chaînes de son maître (Mab , III, p. 329 et suiv.). La vie de Taliesin a été
reproduite sur des manuscrits du siècle dernier, mais elle paraît avoir été
compilée au XIIIème ou XIVème v. Iolo; v. lolo mss.,
71, 72. Elfin est la forme
galloise d'Alpin, nom gaëlique
d'Écosse bien connu, prob. d'origine
picte.
A ce moment un homme fier, accompli, au parler harmonieux, hardi, s'écria que
c'était merveille qu'une
aussi grande armée pût tenir en un endroit si resserré, mais qu'il était encore plus surpris de voir là, à cette heure, des gens
qui avaient promis de
se trouver à la bataille de Baddon (1) vers midi, pour combattre Osla
Gyllellvawr.
« Décide-toi, » dit-il en finissant, « à te mettre en marche ou non; pour moi, je pars. »
- « Tu as
raison, » répondit Arthur; « partons tous ensemble. »
« Iddawc, » dit Ronabwy, « quel est l'homme qui vient de parler à Arthur avec une liberté
si surprenante? »
(1) La bataille du mont Badon fut livrée,
d'après Bède, en 493. Ce fut pour les Brittons une
victoire importante qui arrêta, pour quelques temps, les progrès des Saxons, et
semble même leur avoir porté un coup
terrible. Gildas met le Badonicus mons aux bouches de
- « Un homme qui a le droit de lui
parler aussi hardiment
qu'il le désire : Karadawc Vreichvras,
fils de Llyr Marini (1), le chef de ses conseillers et son cousin germain. » Iddawc
prit alors Ronabwy en croupe, et toute cette grande
armée, chaque
division dans son ordre de bataille, se dirigea vers Kevyn Digoll (2).
(1) Caradawc Vreichvras ou
Caradawc aux
gros bras, un des trois princes chevaliers de combat (Cadvarchawg), de la cour d'Arthur; les deux
autres étaient Llyr Lluyddawg
et Mael ab Menwaed d'Arllechwedd. Arthur
chanta à leur honneur cet englyn :
Voici mes trois chevaliers de combat :
Mael le Long, Llyr Lluyddawg (le chef
d'armées)
et la colonne de Cymru.
Caradawg (Myv. arch., p.
403, 29). Son cheval s'appelait Lluagor (Livre
Noir, Skene 10, 14, Taliesin, ibid., p. 1i6, 5). Sa femme, Tegai
Eurvronn, est une des trois femmes chastes de l'île, et une des trois principales dames de la cour d'Arthur (Myv. arch., p. 410,
103, 108). Caradawc Vreichvras est
devenu, dans les Romans de
(2) Cevn Digoll, appelé aussi, d'après lady Guest, Hir Vynydd ou a
longue montagne, est situé à a frontière est du Montgomeryshire. A Cevn Digoll eut lieu une bataille entre Katwallawn
et Etwin, chef des Saxons;
Quand ils furent au
milieu du gué sur
« Iddawc, » dit Ronabwy,
« quelle est cette armée d'un blanc éclatant là-bas? »
- « Ce sont les hommes de Llychlyn
(Scandinavie), et leur chef est March,
fils de Meirchiawn (1); c'est un cousin germain
d'Arthur. »
(1) Il y a trois chefs de flotte de l'île de Bretagne : Gereint, fils d'Erbin, March, fils de Meirchion, et Gwenwynwyn, fils de
Nav (Triades
Mab., p. 303, I. 11). Sa tombe est mentionnée parmi celles des guerriers de
l'île, avec celle de Gwythur et de Gwgawn Cleddyvrudd (Livre Noir, p. 32, v. 19). Sa femme est Essyllt, la maîtresse de son neveu Trystan
ab Tallwch (Myv. arch., p. 510, 103,
105). C'est le roi Marc de Cornouailles du roman français de Tristan et Iseult. Les noms de March et de Merchion sont aussi des noms bretons-armoricains (Annales
de Bret., II, n° 3, p. 405, 406).
XXXL'autre armée qui venait après portait des vêtements tout noirs, mais la bordure des manteaux était toute blanche;
à la naissance des jambes d'un côté et aux
genoux, de l'autre, les chevaux étaient blancs, tout le reste était
noir; les étendards étaient tout noirs mais
le sommet en était tout blanc.
« Iddawc, » dit Ronabwy, « quelle est cette armée toute noire là-bas? »
- « Ce
sont les hommes de Denmarc (1); c'est Edern, fils de Nudd qui est leur chef. » Quand ils
rejoignirent l'armée, Arthur et ses
guerriers de l'île des Forts étaient
descendus plus bas que Kaer Vaddon.
Il semblait à Ronabwy qu'il suivait, lui et Iddawc, le même chemin
qu'Arthur. Quand ils eurent mis pied
à terre, il entendit un grand bruit tumultueux dans les rangs de l'armée.
Les
soldats qui se trouvaient sur les flancs passaient au milieu, et ceux du milieu sur les flancs. Aussitôt il vit venir un
chevalier recouvert d'une cotte de mailles, lui et son cheval; les
anneaux en étaient aussi blancs que le
plus blanc des lis, et les clous aussi
rouges que le sang le plus rouge.
(1) Les Danois
étaient appelés par les Brittons, la nation noire 853.
Mon vastata est a gentilibus nigris; 866. Urbs Ebrauc vastata
est, id est Cat Dub gint (le combat des nations noires), Annales Cambriae, ap. Petrie, Mon. hist. brit., p, 835; cf. Dubgall, les
étrangers noirs, Annales Ult., à l'année 865. Les
étrangers blancs (Finngal) étaient
les Norvégiens.
Il
chevauchait au milieu de l'armée.
« Iddawc, » dit Ronabwy,
« est-ce que l'armée que j'ai là devant
moi fuit? »
- « L'empereur Arthur n'a jamais fui; si on avait entendu tes paroles, tu serais un homme mort. Ce chevalier que tu vois là-bas, c'est Kei; c'est le
plus beau cavalier de toute l'armée d'Arthur.
Les hommes des ailes se précipitent vers le centre pour voir Kei, et ceux du milieu fuient vers les ailes pour ne pas être blessés par le cheval: voilà la cause de tout ce tumulte dans l'armée. »
A
ce moment, ils entendirent appeler Kadwr (l), comte de Kernyw; il se dressa, tenant
en main l'épée d'Arthur
sur laquelle étaient gravés deux serpents d'or. Lorsqu'on tirait l'épée du fourreau, on voyait comme deux langues de feu sortir
de la bouche des serpents; c'était si
saisissant, qu'il était difficile à qui que ce fût de regarder l'épée. Alors l'armée
commença à se calmer et le tumulte s'apaisa. Le comte retourna à son pavillon.
« Iddawc, » dit
Ronabwy, « quel est l'homme qui portait l'épée d'Arthur ? »
- « Kadwr, comte de Kernyw,
l'homme qui a le privilège de revêtir au roi son armure les jours de combat et de bataille. »
Aussitôt
après, ils entendirent appeler Eirinwych Amheibyn, serviteur d'Arthur, homme aux
cheveux rouges,
rude, à l'aspect désagréable, à la moustache rouge et aux poils hérissés.
(1) Kadwr avait élevé Gwenhwyvar,
femme d'Arthur (Brut Tysilio, Myv. arch., p,
464, col. 1). Il prend part aux expéditions d'Arthur (vieil armor. Cat-wr).
Il
arriva monté sur un
grand cheval rouge, dont la crinière retombait également des deux côtés du cou,
et portant un grand et beau bât. Ce grand valet rouge descendit devant Arthur et tira
des bagages une chaire
en or, un manteau de paile quadrillée; il étendit
devant Arthur le manteau qui portait une pomme d'or (1) rouge à chaque angle et dressa la chaire dessus : elle était assez grande pour que trois chevaliers revêtus de leur
armure pussent s'y asseoir. Gwenn
(Blanche) était le nom du manteau; une de ses vertus,
c'était que l'homme qui en était
enveloppé pouvait voir tout le monde sans être vu de personne; il ne gardait aucune couleur que la sienne propre. Arthur s'assit sur le manteau; devant lui se tenait Owein, fils d'Uryen.
« Owein, » dit Arthur, « veux-tu jouer
aux échecs ? »
-
« Volontiers, seigneur », répondit Owein. Le valet rouge leur apporta
les échecs cavaliers
d'or, échiquier d'argent. Ils commencèrent la partie.
Au
moment où ils s'y intéressaient le plus, penchés sur l'échiquier, on vit sortir d'un pavillon blanc, au sommet rouge, surmonté
d'une image de serpent
tout noir, aux yeux rouges empoisonnés, à la langue rouge-flamme, un jeune écuyer aux cheveux blonds frisés, aux yeux bleus, à la barbe naissante, tunique
et surcot de paile jaune,
bas de drap jaune-vert et, par-dessus,
brodequins de cordwal tacheté,
fermés au cou-de-pied par des agrafes d'or. Il portait une épée à poignée d'or à lame triangulaire; le fourreau était de cordwal noir,
et il avait, à son extrémité, une bouterolle de fin or rouge. Il se rendit à l'endroit où l'empereur Arthur et Owein
étaient en train de jouer aux échecs,
et adressa ses salutations à Owein. Celui-ci fut étonné que le page le saluât, lui, et ne salua pas l'empereur Arthur. Arthur
devina la pensée d'Owein et lui dit :
« Ne t'étonne pas que
ce soit toi que le page salue en ce moment; il m'a salué déjà, et d'ailleurs c'est à toi qu'il a affaire. » Le page dit alors à Owein:
«Seigneur, est-ce avec ta permission
que les petits serviteurs
et les pages de l'empereur Arthur s'amusent à agacer, harceler et harasser tes corbeaux ? Si ce n'est pas avec ta permission, fais à l'empereur Arthur les en empêcher. »
- « Seigneur, » dit Owein, « tu entends ce que dit le page; s'il te plaît, empêche-les de toucher à mes corbeaux ».
-« Joue ton jeu », répondit Arthur. Le jeune homme retourna à son pavillon. Ils terminèrent la partie et en
commencèrent une seconde.
Ils
en étaient environ à la moitié, quand un jeune homme rouge aux cheveux bruns, frisant légèrement, aux grands yeux, de taille
élancée, à la barbe rasée,
sortit d'une tente toute jaune, surmontée d'une image de lion tout rouge. Il portait une tunique de paile jaune descendant au cou-de-pied et
cousue de fils de
soie rouge; ses deux bas étaient de fin bougran blanc et ses
brodequins de cordwal noir, avec des fermoirs dorés. Il tenait à la main une grande et lourde épée à lame triangulaire; la
gaîne était de peau de daim rouge,. avec une bouterolle d'or à l'extrémité. Il se rendit à l'endroit où Arthur et Owein étaient en
train de jouer aux échecs,
et salua Owein. Owein fut fâché que le salut s'adressât à lui seul; mais Arthur ne s'en montra pas plus contrarié que la première fois. Le page dit à Owein :
« Est-ce malgré toi que les pages de l'empereur Arthur sont en
train de piquer tes corbeaux
et même d'en tuer ? Si
c'est malgré toi, prie-le
de les arrêter. »
- « Seigneur », dit Owein à Arthur, a s'il te plaît, arrête
tes gens. »
- « Joue ton jeu », répondit l'empereur. Le page
s'en retourna au pavillon. Ils finirent cette partie et en commencèrent une autre.
Comme ils commençaient à mettre les pièces en mouvement, on aperçut à quelque
distance d'eux un
pavillon jaune tacheté, le plus grand qu'on eût jamais vu, surmonté d'une image d'aigle en or,
dont la tête était, ornée d'une pierre précieuse; on vit en sortir un page à la forte
chevelure blonde et frisée, belle et bien ordonnée, au manteau de paile vert, rattaché à l'épaule droite
par une agrafe d'or, aussi épaisse que le doigt du milieu d'un guerrier, aux bas de fin Totness, aux
souliers de cordwal tacheté, avec des boucles d'or. Il avait l'aspect noble, le visage blanc, les joues
rouges, de grands yeux
de faucon. Il tenait à la main une lance à la forte hampe jaune tachetée, au fer
nouvellement aiguisé, surmontée
d'un étendard bien en vue. Il se dirigea d'un air irrité, furieux, d'un pas précipité, vers l'endroit où Arthur et Owein
jouaient, penchés sur leurs échecs. On
voyait bien qu'il était irrité. Il salua
cependant Owein et lui dit que les principaux de ses corbeaux avaient été tués, et, que les autres avaient été
si blessés et si maltraités, que pas un seul
ne pouvait soulever ses ailes de terre de plus d'une brasse.
« Seigneur, » dit Owein, « arrête tes gens. »
-
« Joue,
si tu veux », répondit Arthur. Alors Owein dit au page:
-
« Va
vite, élève l'étendard
au plus fort de la mêlée, et advienne ce que Dieu voudra. »
Le jeune homme se
rendit aussitôt à l'endroit, où les corbeaux
subissaient l'attaque la plus rude et dressa en l'air l'étendard. Dès que
l'étendard fut dressé, ils s'élevèrent en l'air irrités, pleins d'ardeur et
d'enthousiasme, pour laisser le vent déployer leurs ailes et se remettre
de leurs fatigues. Quand ils eurent retrouvé
leur valeur naturelle et leur supériorité, ils s'abattirent d'un même
élan furieux sur les hommes qui venaient de
leur causer colère, douleur et pertes.
Aux uns ils arrachaient la tête, aux autres les yeux, à d'autres les
oreilles, à certains les bras, et les
enlevaient avec eux en l'air. L'air était tout bouleversé et par le battement
d'ailes, les croassements des corbeaux
exultant, et d'un autre côté par les
cris de douleur des hommes qu'ils mordaient, estropiaient ou tuaient. Le
tumulte était si effrayant qu'Arthur et
Owein, penchés sur l'échiquier, l'entendirent. En levant les yeux, ils virent venir un chevalier monté sur un cheval d'un
gris sombre; le
cheval était d'une couleur extraordinaire : il était gris sombre, mais il
avait l'épaule droite toute rouge; depuis
la naissance des jambes jusqu'au
milieu du sabot, il était tout jaune. Le
cavalier et sa monture étaient couverts d'armes pesantes, étrangères. La couverture de son cheval, depuis l'arçon de devant jusqu'en haut, était de cendal tout
rouge, et, à partir de l'arçon de derrière jusqu'en bas, de cendal tout jaune. Le jeune homme avait à la hanche une épée à poignée d'or, à un
seul tranchant, dans un fourreau tout
bleu, ayant à l'extrémité une
bouterolle en laiton d'Espagne. Le ceinturon
de l'épée était en cuir d'Irlande noir, avec des plaques dorées; la
boucle en était d'ivoire et la languette
de la boucle toute noire. Son heaume d'or était rehaussé d'une pierre précieuse possédant une grande vertu, et
surmonté d'une figure de léopard jaune-rouge,
dont les yeux étaient deux pierres rouges
: même un soldat, si ferme que
fût son cœur, aurait eu peur de fixer ce
léopard, et, à plus forte raison, ce guerrier. Il avait à la main le fût d'une longue et lourde lance à la hampe verte, mais à partir de la poignée jusqu'à la pointe, rouge du
sang des corbeaux avec leur plumage.
Le chevalier se rendit à l'endroit où
Arthur et Owein étaient en train de
jouer, penchés sur les échecs. Ils reconnurent qu'il arrivait épuisé, hors de lui par la colère.
Il salua Arthur et lui dit que les corbeaux d'Owein étaient en train de tuer ses
petits serviteurs et ses pages. Arthur tourna les yeux vers Owein et lui dit:
« Arrête tes corbeaux. »
- « Seigneur,»
répondit Owein, « joue ton jeu. » Et ils
jouèrent. Le chevalier
s'en retourna sur le théâtre de la lutte, sans qu'on tentât d'arrêter les corbeaux.
Arthur
et Owein jouaient déjà depuis quelque temps, lorsqu'ils entendirent un grand tumulte c'étaient les cris de détresse
des hommes et les croassements
des corbeaux enlevant sans peine les hommes en l'air, les écrasant et déchirant à coups de bec, et les laissant
tomber en morceaux sur le sol. En même temps, ils virent venir un chevalier monté sur un cheval blanc
pâle, mais, à partir
de l'épaule gauche, tout noir jusqu'au milieu du sabot. Cheval et cavalier étaient couverts d'une lourde et forte
armure bleuâtre. La cotte
d'armes était de paile jaune damassé, avec une bordure verte, tandis que la cotte de son cheval était toute noire,
avec des bords tout jaunes. A sa hanche était fixée une longue et lourde épée à trois tranchants, dont le
fourreau était de cuir rouge artistement découpé; le ceinturon était de peau de cerf d'un rouge tout
frais; la boucle, d'os de cétacé, avec une languette
toute noire. Sa tête était couverte d'un heaume doré, dans lequel était enchâssé un saphir aux propriétés merveilleuses; il était surmonté d'une figure de lion jaune rouge, dont la langue rouge flamme
sortait d'un pied hors de la bouche, dont les yeux
étaient tout rouges
et empoisonnés. Le chevalier s'avança, tenant à la main une grosse lance à la hampe de frêne, au fer tout fraîchement ensanglanté, dont les
chevilles étaient d'argent, et salua
l'empereur.
« Seigneur,» lui dit-il, « c'en est fait : tes pages et tes petits serviteurs, les fils des nobles de
l'île de Bretagne sont tués; c'est au point qu'il ne sera plus facile désormais de défendre cette île. »
- Owein, » dit Arthur, « arrête tes corbeaux (1). »
- « Joue, seigneur, » répondit-il, « ce jeu-ci. » Ils terminèrent
la partie et en
commencèrent une autre.
Vers
la fin de la partie, tout à coup ils entendirent un grand tumulte, les cris de détresse des gens armés, les croassements et les
battements d'ailes des corbeaux en l'air, et le bruit qu'ils faisaient en laissant retomber sur le sol les
armures entières et les hommes et les chevaux en morceaux. Aussitôt ils virent accourir un
chevalier monté sur un cheval pie-noir, à la tête haute, dont le pied gauche était tout rouge,
et le pied droit, depuis le garrot jusqu'au milieu du sabot, tout blanc.
(1)
Une allusion est faite aux corbeaux d'Owein à la fin du roman d'Owein et
Lunet. Les corbeaux d'Owein sont souvent mentionnés par les poètes, notamment par Bleddyn, poète du XIIIème siècle (Myv. arch., p. 252, col.
1). Kynddelw, au XIIème siècle (Myv. arch., 174.2) y fait aussi allusion. Branhes ou la troupe des corbeaux est souvent associée à Bryneich (Bernicie); c'est peut-être
un rapprochement amené par l'allitération (Myv. arch., p. 237, col. 1; 246, col. 2; 252, col. 2; 231, col. 2; 291, col. 1). Llewis Glyn Cothi en parle en
termes très clairs : « Owein ab Urien a frappé les trois tours dans le vieux Cattraeth; Arthur a
craint, comme la flamme, Owein, ses
corbeaux et sa lance aux couleurs
variées» (p. 140, v. 49). Sur les corbeaux dans la mythologie celtique, voir Revue Celtique, 1, p. 32-57.
Cheval
et cavalier étaient couverts d'une armure
jaune tachetée, bigarrée de laiton d'Espagne. La cotte d'armes qui le couvrait,
lui et son cheval, était mi-partie blanche
et noire, avec une bordure de pourpre dorée.
Par-dessus la cotte se voyait une épée à poignée d'or, brillante, à trois tranchants;
le ceinturon, formé d'un tissu d'or jaune, avait une boucle toute noire en sourcils de morse, avec une languette d'or jaune. Son heaume étincelant, de
laiton jaune, portait, enchâssée, une
pierre de cristal transparent, et était surmonté d'une figure de griffon dont la tête était ornée d'une pierre aux propriétés merveilleuses. Il tenait à la main une
lance à la hampe de frêne ronde,
teinte en azur, au fer fraîchement
ensanglanté, fixé par des goupilles d'argent. I1 se rendit, tout irrité, auprès
d'Arthur, et lui dit que les corbeaux avaient massacré les gens de sa maison et les fils des nobles de l'île;il lui demanda de faire à Owein arrêter ses
corbeaux. Arthur pria Owein de les arrêter, et pressa dans sa main les cavaliers d'or de l'échiquier au
point de les réduire tous en poudre.
Owein ordonna à Gwers, fils de Reget,
d'abaisser la bannière. Elle fut
abaissée et aussitôt la paix fut rétablie partout.
Alors Ronadwy demanda à Iddawc quels étaient les trois hommes qui étaient venus les
premiers dire à Owein qu'on tuait ses
corbeaux.
« Ce sont, » répondit Iddawc, « des hommes qui étaient peinés des pertes d'Owein, des chefs
comme lui, et ses compagnons
: Selyv (1), fils de Kynan Garwyn (2) de Powys, Gwgawn Gleddyvrud (3); Gwres, fils de
Reget, est celui qui porte la bannière les jours de combat et de bataille.
(1) Selyv, fils de Kynan Garwyn est un des trois aerveddawc ou ceux qui se vengent
du fond de leur tombe (Triades Mab., 304, 6). C'est probablement le même personnage que le Selim filius Cinan
tué à la bataille de Chester, en 613 (Annales Cambriae,
Petrie, Mon. hist brit., p. 832),
Selim, Selyv vient de Salomō. Son cheval, Dahir Tervenhydd,
est un des trois tom eddystr ou chevaux de travail de
l’île de Bretagne (Livre Noir, Skene,
Il, p. 172). Dans les triades du Livre
Bouge annexées aux Mab., son
cheval Duhir Tynedic est un
des trois premiers chevaux (Mab., 306, 24).
(2) Kynan Garwyn
paraît être le fils de Brochvael Ysgithrog,
qu'on identifie avec le Brocmail de Bède, défait en 613 par Ædilfrid, roi des
Angles, près de Chester (Bède, Hist.
eccl., II, 2).
Un poème de Taliesin
lui est consacré (Skene, Il, p. 172). Pour la généalogie de Selyv et
Kynan, v. tome II.
(3) Gwgawn Gleddyvrudd, ou Gwgawn à l'épée rouge, est
un des trois esgemydd aereu ou bancs de bataille (v. la note à Morvran Eil
Tegit, plus haut, dans le :Mab.
de Kulhwch). C'est un des trois portiers de la
bataille des Vergers de Bangor (Gweith Perllan Bangor) avec Madawc ab Run et Gwiwawn, fils de Cyndyrwynn (Triades Mab., 304, 25-30; Skene, app. II, p. 458).
Son cheval Bucheslom Seri est un des trois anreithvarch ou
chevaux de butin de l’île; les deux autres sont Carnavlawc, cheval d'Owein ab Uryen,
et Tavautir Breichir, le
cheval de Katwallawn ab Katvan
(Livre Noir, Skene, 11, 1-4; Triades Mab., 306,
30). Wocon, plus tard Gwogon et Gwgon, est un nom très commun en Armorique.
La
tombe de Gwgawn Glcddyvrudd
est signalée parmi celles des guerriers de l’île (Livre Noir, Skene, p.
32, v. 20). C'est du
même Gwgawn qu'il est probablement question dans le Gododin (Skene II, p. 72, v.
26.)
- « Quels
sont les trois qui
sont venus en dernier lieu dire à Arthur que les corbeaux tuaient ses gens? »
- « Les
hommes les meilleurs
et les plus braves, ceux qu'une perte quelconque d'Arthur indigne le plus; Blathaon, fils de Mwrheth, Ruvawn Pebyr, fils de Deorthach Wledic, et Hyveidd Unllenn. »
A
ce moment vinrent vingt-quatre chevaliers de la part d'Osla Gyllellvawr demander à Arthur une trêve d'un mois et quinze
jours. Arthur se leva et s'en alla tenir conseil. Il se rendit à peu de distance
de là, à l'endroit où se tenait un grand
homme brun aux cheveux frisés, et fit
venir auprès de lui ses conseillers : Betwin l'évêque; Gwarthegyt, fils de Kàw; March, fils de Meirchawn;
Kradawc Vreichvras; Gwalchmei, fils de Gwyar; Edyrn, fils de Nudd; Ruvawn
Pebyr, fils de Deorthach Wledic; Riogan, fils du roi d'Iwerddon; Gwenwynnwyn, fils
de Nav; Howel, fils d'Emyr Llydaw; Gwillim, fils du roi de France; Danet,
fils d'Oth; Goreu,
fils de Custennin;
Mabon, fils de Modron; Peredur Paladyr Hir; Heneidwn Llen (Hyveidd
unllen ?);
Twrch, fils de Perif; Nerth, fils de Kadarn; Gobrwy, fils d'Echel Vorddwyt-Twll; Gweir, fils de Gwestel (1); Adwy, fils de Gereint; Drystan, fils de Tallwch (2); Moryen Manawc (3); Granwen, fils de Llyr;
(1)
Ce personnage paraît connu au XII-XIIIème siècles. Prydydd y Moch dans le marwnad
(chant funèbre; de Hywel ab Gruffudd mort en
1212, parle de Gweir vab Gwestyl (Myv. arch. 208, 2).
(2)
Drystan, fils de Tallwch : c'est un
des trois taleithawc de l'île,
avec Gweir ab Gwystyl et
Kei, fils de Kynyr (Triades Mab., p. 303, 5).
C'est un des trois grands porchers de l'île: il garde les porcs de March ab Meirchiawn (le roi Marc de nos romans, son oncle) pendant que le porcher se rend avec un
message de lui près d'Essyllt (ibid.,
p. 307, 15). C'est encore un des
trois gallovydd, maître ès-mécaniques : les deux
autres sont : Greidiawl et Gwgon Gwron (ibid., p. 304, 24). Les
trois amoureux de I'île
sont Caswallawn ab Beli, amoureux de Pflur, fille de Mugnach Gorr; Trystan ab Tallwch, amoureux d'Essyllt,
femme de March ab Meirchiawn son oncle, et Kynon ab Klydno Eiddun, amoureux de Morvydd, fille d'Uryen. II est à
chaque instant question de lui chez les poètes gallois (Myv. arch.,
p. 251, col. 1.; 255, col. 1 (1250-1290; p. 306, col. 1; 329, col. 2; 339, col. 2 (XIVème, siècle) cf.
Daf. ab Gwil, p.216, 294). Sur
le Tristan de nos romans français, v. Hist. litt., XIX, 687-704; Gaston
Paris, Hist. litt., XXX, 19-22); v. J. Loth, Revue Celt., XXX, 270; XXXII; Contribution à l'étude des
Romans
de
(3). Moryen Manawc. La tombe d'un Moryen est signalée parmi celles de guerriers de l'île (Livre Noir, Skene, II, p. 28, v. 22). Le Gododin
célèbre un Moryen, fils de Caradawc (Skene, 11, p. 73, 29 : cf, Livre Rouge; ibid.,
p. 232). Moryen Varvawc ou
le Barbu est un des trois Estron Deyrn, ou rois fils d'étrangers de l'île (Myv. arch., p. 405, col. 1) (le nom de Moryen, connu en
vieil. arm., se retrouve en Morgen-munuc, ce qui
donnerait en gallois, au XIème siècle,
Moryen-mynawc).
Llacheu (1), fils d'Arthur; Llawvrodedd Varyvawc; Kadwr comte de Kernyw; Morvran, fils de Tegit; Ryawd, fils de Morgant;
Dyvyr, fils d'Alun Dyvet;
(1) « Il y a trois deivniawc (inventeurs ?) de
l'île de Bretagne : Riwallawn Wallt Banhadlen (aux cheveux de
genêt), Gwalchmei, fils de Gwyar, et Llacheu,
fils d'Arthur (Triades Mab., 302,
281. Il est présenté avec Kei comme un
vaillant guerrier dans le Livre
Noir (Skene, II, p. 52, 28). Dans
le Livre Noir (F. a. B., II, p. 52, v. 7), on sait
où Llacheu a été tué, Llacheu
étonnant comme artiste (ibid., 55 16). Un
poète du XIIIème siècle Bleddynt nous dit qu'il a été
tué à Llechysgar (Myv. arch.,
252. 1). Il semble que dans Perlesvaus,
on trouve l'écho d'une tradition
galloise concernant un fils d'Arthur (Potvin,
I, p. 170, 221). Ce
fils Lohoz, tue un géant, Logrin,
et suivant son habitude reste endormi sur le cadavre de sa victime. Kei (Kea) passant
par là (la forêt de Logres), coupe la tête de Lohoz et la met
avec le corps dans un cercueil de pierre. I1 va au géant. lui coupe a tête, la pend à l'arçon de sa selle et a
présente à Arthur, comme preuve de sa
vaillance. A l'appui de cette hypothèse,
on peut citer l'épisode de Dillus dans Kulhwch et Olwen (trad. I, p.
209). Après une épigramme moqueuse d'Arthur, il est dit que les guerriers de Bretagne eurent grand'peine à mettre la paix entre eux et que dans la suite Kei ne vint jamais à son aide.
Gwrhyr Gwalstot Ieithoedd;
Addaon, fils
de Telyessin; Llara, fils de Kasnar Wledic; Ffleuddur Fflam;
Greidyawl Galldovydd; GiIbert, fils de Katgyfro (1); Menw, fils de Teirgwaedd; Gyrthmwl Wledic; Kawrda
(2), fils de Karadawc Vreichvras; Gildas, fils de Kaw; Kadyrieith, fils de Seidi.
(1) Katgyfro signifie qui suscite,
met en branle le combat. Il y a plusieurs Gilbert mêlés aux affaires du
pays de Galles, au XIIème siècle. Le
nôtre est vraisemblablement Gilbert de Clare, comte de Pembroke (il en eut le titre en 1138). Il
était fils de Gilbert Fitz-Richard, guerrier fameux et redouté (The Bruts, p. 280); qui
s'empara notamment du pays de Cardigan et mourut vers 1114 (The Bruts, p. 303). Notre Gilbert fut le père du célèbre Richard de Clare, plus connu sous le
nom de Strongbow, qui mourut en 1176. 11 me paraît probable que le texte primitif portait Gilbert mab Gilbert Katgyfro; son cheval, dans le Livre Noir de Carmarthen (F. a. B. 11, p. 10, 11), est Ruther ehon Tuth Bleit: Elan sans peur, galop de loup.
(2)
Les Triades du Livre Bouge le donnent comme un des trois Kynweissyeit ou
premiers serviteurs, ou ministres de Bretagne, avec Gwalchmei et Llacheu
(Mab., p. 302, I. 26); mais celles de Skene nomment avec Cawrdav, Caradawc,
fils de Bran, et Owein fils de Maxen Wledic (Skene, app. II. p. 458). Cawrdav, lui aussi, a été le père de plusieurs saints (Iolo mss., p.,123). Il est cité dans les Propos des Sages (Iolo mss.,
p. 253).
Beaucoup de guerriers de Llychlyn et de Denmarc, beaucoup d'hommes de Grèce, bon
nombre de gens de
l'armée prirent part aussi à ce conseil.
« Iddawc, » dit
Ronabwy, « quel
est l'homme brun auprès duquel on est allé
tout à l'heure ? »
- «.C'est Run
(1), fils de Maelgwn
de Gwynedd, dont le privilège
est que chacun vienne tenir conseil avec lui. »
- « Comment se fait-il qu'on ait admis
un homme aussi jeune
que Kadyrieith, fils de Saidi
dans un conseil
d'hommes d'aussi haut rang que ceux-là là-bas ? »
- « Parce qu'il n'y a pas en Bretagne un homme dont l'avis ait
plus de valeur que le sien. » Juste
à ce moment des bardes vinrent chanter pour Arthur. Il n'y eut personne, à l'exception de Kadyrieith, à y rien comprendre, sinon que c'était un chant à la
louange d'Arthur. Sur ces
entrefaites arrivèrent vingt-quatre ânes avec leurs charges d'or et d'argent, conduits chacun
par un homme
fatigué, apportant à Arthur le tribut des îles de
(1) Run est un des
trois gwyndeyrn, ou rois heureux ou bénis, avec Oweiu ab Uryen et Ruawn Pebyr (Mab., p. 300, 7). Les Lois
font de lui l'auteur des quatorze privilèges des hommes d'Arvon. Il aurait marché
à leur tête contre les envahisseurs
bretons du nord de l'Angleterre, commandés par Clydno
Eiddin, Nudd, fils
de Senyllt, Mordav Hael, fils de Servari, Rhydderch Hael, fils de Tudwal Tudglyd, venus pour venger
la mort d'Elidyr. Cet Elidyr
aurait épousé Eurgain, fille do Maelgwn, et aurait péri en revendiquant le trône de Gwynedd, d'après Aneurin Owen, contre Run,
enfant illégitime de Maelgwn (Ancient laws, I,
p. 104). Le Livre Rouge vante en lui le successeur de Maelgwn et un guerrier
redoutable (Skene, p. 220, v. 10). Mailcun, le Maglocunus
de Gildas, meurt, d'après les Annales Cambriae, en 547.
Kadyrieith; fils de Saidi
fut d'avis qu'on
accordât à Osla Gyllellvawr
une trêve de un mois
et quinze jours et qu'on donnât les ânes qui apportaient le tribut aux bardes, avec leur charge,
comme payement de
leur séjour; à la fin de la trêve, on leur payerait
leurs chants. C'est à ce parti qu'on s'arrêta.
« Ronabwy, » dit Iddawc,
« n'aurait-il pas été fâcheux d'empêcher un jeune homme
qui a donné un avis
si généreux d'aller au conseil de son seigneur?» A ce moment Kei se leva et dit :
« Que tous ceux qui veulent suivre Arthur soient
avec lui ce soir en Kernyw; que
les autres soient contre lui, même pendant la trêve. » Il s'ensuivit un tel tumulte que
Ronabwy s'éveilla. Il se trouva sur la peau de veau jaune, après avoir dormi trois nuits et trois
jours.
Cette
histoire s'appelle Le
Songe de Ronabwy. Voici pourquoi personne, barde ou conteur, ne sait le Songe sans livre : c'est à cause du nombre et de la variété des couleurs
remarquables des chevaux, des armes et des objets d'équipements, des manteaux précieux et des
pierres à propriété merveilleuse.