Hávamál 111-137
« La parole de Dragon
Minable »
Introduction
générale (p. 26) de Evans sur ces strophes
[Vous noterez que l’interprétation donnée ici à la
strophe 110 s’oppose, ‘bien évidemment’, aux commentaires des experts. ]
Comme pour le Poème
Gnomique, les spécialistes sont en désaccord pour affirmer que le Loddfáfnismál
ait été prévu dès le début pour être la parole d’Óðinn. Le pronom à la première
personne apparaît deux fois, dans 118 et 131, mais ni dans l'un ni dans l'autre
cas le parleur ne semble posséder les caractéristiques odiniques, et les
conseils donnés par le poème est en général terre-à-terre et même insignifiant,
(que la dernière ligne de 112 puisse sortir des lèvres d'un dieu est même
apparu comme particulièrement offensant; Müllenhoff a même pensé qu’un peu de
burlesque était présent). La question est compliquée par le problème de la
façon dont 111 doit être compris. Dans le texte de Codex Regius, cette strophe
présente Loddfáfnismál, mais en une tonalité grandement mystique,
contrairement au contenu terre à terre du poème qui suit, ce qui rend douteux
qu’elle ait été composée à cette fin. Une autre objection a été élevée dans la
référence de la ligne 7 aux runes, qui en fait ne sont pas traités dans le Loddfáfnismál
(excepté une allusion très succincte dans 137). La strophe serait en fait plus
convenablement placée parmi divers fragments du Rúnatal; on peut également imaginer
qu'on l'ait prévue pour présenter en même temps le Ljóðatal. Même si nous
l'acceptons comme une strophe d’introduction au Loddfáfnismál, ses
implications sont loin d'être claires. Qui est le ek qui a vu et qui
était silencieux dans le hall de Hávi, considérant et
écoutant des conseils et des paroles sur les runes ? Certainement un dieu, dit
Finnur Jónsson 3. 237, parce que seul un dieu aurait été admis dans de tels
environnements exaltés, et naturellement Óðinn, et c'est Óðinn (Finnur
continue) qui énonce le Loddfáfnismál sous le déguisement d'un þulr
âgé, donnant un portrait exagéré de soi dans 134. Ceci est possible;
mais dans le hall de Hávi il semblerait raisonnable que Hávi, c. -à-d. Óðinn,
soit le parleur plutôt que qu'il soit l'ek qui écoute. Müllenhoff a
cru que 111-137 étaient l'expression non pas de Hávi mais du þulr Loddfáfnir
rapportant que ce qu'il déclame lui a été précédemment enseigné dans le hall de
Hávi (Müllenhoff modifia manna mál dans 111/6 en Hávamál
- mais cela laisse þögðu sans sujet apparent au pluriel), et que
164 étaient la conclusion originale de ce poème; et de cette strophe il expulsa
Háva
devant höllu í et a pris le hall comme celui dans lequel le þulr a
déclamé son poème; le heill sá er kvað est son éloge de
Hávi et le heill sá er kann en son éloge à lui. Tout ceci est très possible,
mais évidemment très spéculatif, et reste encore vulnérable à la critique d’autant
que les conseils, pris dans leur ensemble, sont trop insignifiants pour cette
grandiose structure. La conclusion la plus plausible est qu’ici débute, comme
dans le Poème Gnomique, un ensemble indépendant de strophes didactiques
impersonnelles de six vers chacune en ljódaháttr; à une certaine date elle
a été adaptée à Loddfáfnir et de ce fait légèrement modifiée; et elle a alors
(comme le Poème Gnomique) été incorporée dans les ‘Mots de Havi’, acquérant un
lien avec Óðinn seulement à cette étape.
[La
suite de cette palpitante enquête dès la strophe 111 qui me semble très claire
quant à qui est le ‘je’ et du rôle que se donne Óðinn dans ces strophes. Pour
comprendre, il faut simplement faire comme Óðinn, hlýdda á manna mál : écouter la parole des hommes. ]
Sur
le sens du nom Loddfáfnir
« Dragon Minable »
Les experts déclarent tous que le sens du nom Loddfáfnir n’est pas
connu. Je ne vais certainement pas faire tellement mieux qu’eux pour vous
donner un nom exact, car le sens des mots composant ce nom, lodd-fáfnir, est très mal connu. Il me
semble cependant possible d’avoir une idée générale sur le sens de ce nom :
est-il honorifique ou insultant pour celui qui le porte ? Je parle ici de
l’usage courant de ce préfixe et non pas de son étymologie. Je serais un peu ‘lodd ’ (enfantin et minable) moi-même de
m’opposer à la proposition d’Antony Liberman en ne donnant pas à lodd une étymologie liée à ‘enfant’
comme il le fait dans la référence ci-dessous (Note 1). En effet, ‘minable’ est
peut-être un peu fort, et ‘dragon enfantin’ ou ‘dragonet’ seraient plus
appropriés, mais moins frappants.
Pourquoi traduire fáfnir par ‘dragon’ ? Le nom Fáfnir est bien connu. Il apparaît au sein du cycle
mythique de Sigurðr. Vous trouverez tous les détails dans la traduction de
l’Edda de Snorri faite par Dillmann. Voici les faits relatifs à Fáfnir. Il est
un des trois fils d’un géant très savant. Le premier fils est tué
accidentellement par Loki qui rachète sa faute en payant un tribut : un
trésor constitué d’un anneau magique et d’une grande quantité d’or. Les deux
autres fils, Reginn et Fáfnir demandent à leur père leur part du trésor et il
refuse. Ils complotent alors contre lui et Reginn se charge du meurtre de son
père. Le partage de cet héritage se passe mal car chacun des deux fils veut le
trésor pour lui seul. Il se trouve que Fáfnir possède un ‘casque de terreur’
(le célèbre Ægis-hjálmr = ‘de
Terreur-casque’), Reginn perd cette bataille et Fáfnir s’enfuit en emportant le
trésor. Pour le protéger, il se réfugie dans une caverne, se transforme en
dragon, et ‘s’assied’ sur son trésor.
Vous avez vu tout au long des strophes gnomiques combien Óðinn méprise
les richesses matérielles et il ne peut donc que mépriser profondément un être
qui participe au meurtre de son père pour ensuite se vautrer sur son or. Pour
rendre compte du mépris d’ Óðinn , j’ai choisi de traduire le mot fáfnir par ‘dragon’ lequel doit recevoir
un qualificatif méprisant.
Pourquoi traduire lodd par ‘minable’ ? Ce mot est associé à deux mots connus en Vieux Norrois, lodda et loddari. Je vous fournis ci-dessous tout ce que l’on sait sur ces
deux mots, selon les quatre dictionnaires que j’utilise ici. Vous voyez
ci-dessous que de Vries et le Lexicon Poëticon ne signalent rien de
particulièrement péjoratif pour le sens de lodd.
Par contre, C-V signale une forte connotation péjorative. Le sens ‘femme’ de lodd désigne, selon lui, une prostituée
et le sens ‘saltimbanque’ de loddari
désigne un vagabond. C’est pourquoi j’ai choisi de traduire lodd par ‘minable’.
L’ensemble donne donc un nom faisant penser à ceux des amérindiens
quand ils veulent ridiculiser un personnage : Dragon Minable. Le fait que
cette insulte soit rappelée tout au long des strophes 112-137 va nous aider à
mieux comprendre l’aspect quelque fois vraiment minable de certaines strophes
de ce Loddfáfnismál, dans leur interprétation banale.
(Note 1) Antony Liberman, Ten Scandinavian and North English
Etymologies,
dans alvíssmál 6, ISBN
978-3-86135-606-6 ISBN 978-3-86135-606-6. Téléchargeable à http: //userpage. fu-berlin. de/~alvismal/7etym. pdf
Sens de
lodda et loddari
De Vries. lodda :
‘frau, fluss’ (femme, cours d’eau).
Il ajoute les sens suivants de lodda
dans d’autres langages germaniques.
loddari : ‘musicien, saltimbanque’.
Lex. Poet. lodda :
‘amnis’ (cours d’eau), ‘femina’ (femme, femelle); lögðis lodda ‘le flot des épées, le
sang’.
loddari : non mentionné.
C-V lodda : une prostituée ( ? ),
un mot insultant.
loddari : un bouffon, un vagabond,
un mot insultant.
Hans Kuhn Ces
mots sont absents de son Wörterbuch
car ils n’apparaissent pas dans l’Edda poétique ailleurs que dans le nom de
Loddfáfnir.
***Hávamál 111***
Explication
en vers
Óðinn kvað :
Il
est grand temps que j’incante
depuis
le siège de la source d’Urðr,
là
où se tient le sage poète conteur.
De
là j’ai observé,
j’ai
vu et j’ai gardé le silence,
je
me suis tu et j’ai réfléchi,
j’ai
compris et j’ai prêté oreille,
j’ai
entendu la parole des humains.
Mille
paroles sur les runes j’ai entendu,
ils
étaient fort bavards en conseils.
Depuis
le hall du Haut, dedans le hall du Haut
voici
ce que j’ai entendu les humains dire :
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
111.
Mál er at þylja La parole est à l’invocation
þular stóli á
du raconteur le siège sur
Urðarbrunni at, d’Urðr la source à,
sá ek ok þagðak, j’ai vu et j’ai été silencieux
sá ek ok hugðak, j’ai vu et j’ai pensé,
hlýdda ek á manna mál; j’ai prêté oreille à la parole des humains;
of rúnar heyrða ek dæma, des runes j’ai entendu traiter
né of ráðum þögðu non de conseils ils se taisaient
Háva höllu at, du Haut au hall,
Háva höllu í, du Haut dans le hall,
heyrða ek segja svá: entendis je parler ainsi :
Traduction
de Bellows
111. Il est temps que j’incante |
depuis le siège des incantations;
J’étais près des puits d’Urth,
J’ai vu et fut silencieux, | J’ai vu
et je pensais,
Et j’entendis la parole de Hor.
(Des runes j’entendis les paroles, |
elles ne manquaient pas de conseils,
Au hall de Hor,
Dans le hall de Hor;
Tel furent les paroles que
j’entendis. )
Commentaire
sur le vocabulaire
Je vous rappelle ce qui a déjà été signalé aux strophes 21 et 60 :
le mot neutre mál a de multiples
sens.
Il signifie ‘un dessin ornemental’. Il signifie par ailleurs, ‘une
mesure de distance, une taille’, et aussi ‘une mesure de temps, un instant, le
moment du repas, les saisons de l’année’. Enfin, son troisième sens principal
est ‘la parole, la faculté de parler’, un échange de paroles, un conte, un
récit, un dicton, une phrase grammaticale’. Ce dernier sens s’est étendu au
langage juridique pour donner ‘une procédure, un cas juridique, une
transaction’.
Le verbe þylja signifie
‘dire, chanter’ ou ‘murmurer des paroles magiques’. Dans le contexte de cette
strophe ce dernier sens me paraît le plus probable.
Le verbe hlýdda ou hlýða signifie ‘écouter, prêter oreille,
(Eng. : hearken, Deut. : lauschen)’ et aussi de façon figurée, comme dans notre
« n’écouter que son courage », ‘accomplir correctement’ et dans les
formes négatives ‘refuser d’écouter, refuser d’agir de façon incorrecte’.
Le verbe dæma signifie ‘passer sentence, juger,
parler, discuter’. C-V insiste sur la façon de parler dæma ok drekka (boire un
coup en bavardant) qui est une façon de pousser à l’extrême trivialité le sens
‘bavarder’ de dæma. Cette acceptation est signalée comme possible par le Lex. Poet.
, mais cela ne doit pas correspondre à son sens étymologique car de Vries donne
‘juger, ajuster’.
Le verbe þegja, être
silencieux, se taire, fait þögðu (ils
se taisaient/se turent) à la troisième personne plurielle du prétérit et, dans
le vers 4, þagða à la première
personne du singulier (je me tus).
Commentaire
sur le sens de la strophe
Vous pouvez voir que ma traduction diffère considérablement de celle de
Bellows qui date un peu. En fait, à quelques variations près, ma version et
celles de Dronke et Orchard sont les mêmes. Il est,
par contre, un point de compréhension où elle diffère complètement de celle des
universitaires modernes. Il me semble qu’il soit maintenant admis par
les experts que le ‘ek’ des lignes 4-7 ne soit pas Óðinn mais un
mystérieux conteur (le þulr évoqué dans les vers 2) dont on sait rien et
qui disparaîtra dans la suite aussi mystérieusement qu’il est apparu. Il me
semble que, le seul personnage évoqué étant Óðinn, c’est lui qui vient écouter
la parole des humains relativement aux runes. Il me semble qu’il est
effectivement unique que le premier geste d’un dieu venu pour nous enseigner
les runes (ou tout autre chose) soit de nous écouter au lieu de tonner ses
vérités éternelles du haut de sa grandeur. Cela évoque plus une pédagogie
moderne à l’écoute de ses élèves que le comportement des dieux transcendants
auxquels nous sommes habitués. Je suppose que ceci a été considéré comme d’une
telle invraisemblance par les experts modernes qu’ils ont préféré inventer un
personnage non divin qui écoutait l’opinion des humains sur les runes.
Depuis son hall, Óðinn écoute ce que les humains ont à dire au sujet
des runes. Et les 25 strophes suivantes rapportent en effet ce que les humains
disent. L’habileté poétique d’Óðinn consiste à utiliser des mots ambigus qui
donnent un sens prosaïque possible (quoique parfois tarabiscoté) à la strophe.
Il arrive même que ses phrases soient naturellement ambigües (comme 119 :
il faut visiter ses amis, qu’ils soient magiciens ou non) et qu’on puisse les
lire aussi bien d’un esprit prosaïque que mystique. Ainsi, le þulr mystérieux qui a tant intrigué les
commentateurs est tout simplement Óðinn déguisé en humain (ce ne serait pas
première fois que cela lui arrive) qui prononce des paroles d’humain derrière
lesquelles se cache leur sens divin.
(Pour
la coupure : Jackson)
Commentaires d’Evans
111
Sur cette strophe obscure et discutée voir p. 26 ci-dessus et Hollander
2, 282-7.
2 þulr semble signifier quelque chose comme ‘sage’ ou ‘voyant’.
Le mot se retrouve dans 134, où on recommande instamment à Loddfáfnir de ne pas
rire d'un þulr chenu, car les vieux
parlent souvent sagement, et dans 80 et 142, on dit que les runes sont colorées
par fimbulþulr, le puissant þulr (vraisemblablement Óðinn); l'association avec l'âge avancé
apparaît également dans deux autres occurrences dans l'Edda : inn
Hára þul, se rapportant à Reginn, dans Fáfnismál 34 et inn
gamli þulr, utilisé pour Vafþrúðnir, dans Vafþr. 9. Dans d'autres
poèmes, le mot est appliqué une fois au héros légendaire Starkaðr, au ‘magicien
poète’ Þorleifr jarlsskáld, et une fois par le poète Rögnvaldr kali à lui-même;
cela n’est pas attesté en prose mais une inscription runique danoise du début
du neuvième siècle de Snoldelev commémore un Gunnvaldr, fil de Hróaldr, þulr de
Salhaugar (maintenant Sallev), comme si c'étaient une fonction publique
identifiée. Le þyle (d’étymologie commune à þulr)
en Vieil Anglais est employé pour designer un orateur et aussi,
semble-t-il, scurra et histrio… et þelcræft (évidemment à la place de *þylcræft) est désigné
comme réthorique, et dans Beowulf, Unferth, un courtisan du roi
danois Hrothgar, aux pieds duquel il est assis, s'appelle Hroþgāres þyle. Le verbe
norrois est þylja
ce qui est sans aucun doute dérivé du nom, parfois semble signifier
‘chanter, proclamer’ et parfois comme dans le passage actuel ‘marmonnement’
(spécialement le marmonnement de sorts, de sagesse cachée etc. ) Cf. str. 17
ci-dessus: il y a également un nom þula ‘catalogue poétique, énigme’.
Il y a eu beaucoup de spéculation quant à la fonction originale du
þulr : il était le plus probablement une sorte de sage
publiquement reconnu, dépositaire du savoir antique et crédité de pouvoirs
prophétiques. Mais comme ce concept est évidemment préhistorique et déjà frappé
d'obsolescence au temps de nos plus anciens témoignages écrits, il est
impossible d’en être certain. Pour davantage de discussion voir…
3 Urþar brunni at - les éditeurs comprennent soit que
cela doit être pris avec ce qui précède, ou avec ce qui suit. Mais, puisque la
strophe dans son ensemble est tellement obscure, il semble risqué de casser le
modèle régulier du Ljóðaháttr en plaçant un arrêt après la première
‘longue ligne’ (c. -à-d. à la fin de ligne 2); le seul parallèle serait en 69
mais là, une coupure se produit aussi à la fin de la ligne 3. Völuspá 19 parle
aussi de Urðar
brunnr, se trouvant sous le frêne toujours vert Yggdrasill, et
Snorri indique dans l’Edda en prose (Gylfaginning ch. 15) que þriðja rót
asksins stendr á himni, ok undir þeiri roter brunnr sá, er mjök er heilagr, er
heitir Urðarbrunnr. Þar eigu guðin dómstað sinn. Dans un fragment d'une
poésie chrétienne du dixième siècle, le scalde Eilífr Guðrúnarson parle du
Christ qui se tient sunnr at Urðar brunni…, évidemment une
appropriation chrétienne du concept du Puit du Destin comme siège de la
sagesse.
***Hávamál 112***
Traduction
la plus proche possible du mot à mot
Je te conseille,
Dragon Minable
et si tu saisis mon
conseil,
tu vas en bénéficier
si tu le saisis,
tu en aura du bien
si tu les saisis :
la nuit, ne te lève
pas
sauf si tu vas aux
nouvelles
et que tu cherches
en toi une place dehors.
Explication
en prose
Ce que les humains ignorants
des runes vont comprendre.
Dragon Minable, voici un conseil pour toi, si tu le saisis, il te sera
bon si tu le comprends, il te fera du bien si tu le comprends.
Ne
te lève pas la nuit
sauf
si des nouvelles urgentes t’attendent au dehors
ou
que tu cherches le chemin vers les toilettes.
Ce que les apprentis en
sagesse runique doivent comprendre.
Apprenti magicien, voici des conseils pour toi, essaie donc de les
comprendre si tu peux, si tu arrives à les comprendre ils ne peuvent te faire
que du bien car ils te protègeront de toi-même, si tu arrives à les comprendre
rien de mal ne pourra t’atteindre car ils te protègeront des autres. Si tu
échoues à les comprendre, retourne plutôt à tes occupations terre à terre.
Ne
te lève pas la nuit
sauf
si tu dois recueillir de nouvelles informations
alors
sors de toi-même en úti seta (‘assis
dehors’).
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
112.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, J’avise à toi, Dragon Minable
en þú ráð nemir, -
mais (si) tu l’avis
saisis
njóta mundu ef þú nemr, en bénéficier vas-tu si tu
saisis,
þér munu góð ef þú getr -: à toi seront bon si tu
saisis :
nótt þú rís-at
la nuit tu non
lève-toi
nema á njósn séir
sauf vers (aux)
nouvelles tu voies
eða þú leitir þér innan út staðar. ou que tu cherches pour toi
depuis dedans dehors une
place.
Traduction
de Bellows
112. Je te conseille, Loddfafnir! |
et entends mon conseil,-
Profit tu en tirereras si tu les
entends,
Grand ton gain si tu apprends :
Ne te lève pas lanuit, | sauf si tu
cherches des nouvelles,
Ou en grand besoin, tu ailles aux
toilettes dehors.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le verbe nema signifie
‘prendre’ avec le sens de ‘prendre avec force’. Il va donc mieux se traduire
par ‘saisir, attraper, déposséder’. Comme en Français le verbe ‘saisir’ et le
couple prendre et com-prendre, nema
contient aussi les aspects intellectuels de l’acquisition : ‘ressentir,
comprendre, apprendre’.
Nous avons déjà rencontré le verbe njóta
dans la strophe 107 où Óðinn dit avoir bien njótit
de sa chère « couleur de l’aube ». Il signifie ‘utiliser, prendre
plaisir de, profiter de’.
Le verbe sjá, ‘voir,
détecter’ fait sé au subjonctif
présent et la seconde personne du singulier est séir ‘que tu voies’.
Commentaire
sur le sens de la strophe
Cette strophe illustre l’énorme différence qui peut exister entre les
usages habituels et les usages spirituels.
Notez que le sens prosaïque est en plus énoncé de façon maladroite.
Dans « tu cherches en toi une place dehors » le « chercher en
toi » ne peut être compris que comme la recommandation d’aller chercher
ses excréments à l’intérieur de soi, ce qui est exagérément redondant, si ce
n’est ridicule. Inversement, s’il s’agit d’aller trouver en soi l’information
qu’on recherche (comme l’avant-dernier vers le précise) qu’on peut obtenir en
pratiquant le úti seta, le dernier
vers est simplement très clair.
Dans cette strophe, il est évident qu’Óðinn s’exprime grossièrement. Il
dit à ses lecteurs (ou, plutôt à ses auditeurs) : « Si vous voulez
comprendre de la merde, alors continuez à être grossiers vous-mêmes. Sinon, si
vous comprenez que je parle de votre âme, soyez les bienvenus ! »
Commentaires d’Evans
112
1 Ráðumk ‘je conseille’; n’est pas une forme réflexive
(car ‘conseiller’ est toujours ráða, non ráðask) mais
la première personne sg. dans -um avec le -k de ek
en suffixe;
cf. létumk 106 et lögðumk
108, et note hétomk à côté de ek hét ‘j’ai été
appelé’ dans le Grímnismál 46-54; heita n’est jamais réflexif
dans ce sens… Loddfáfnir n’est pas mentionné hors du Hávamál, et
l’étymologie de ce nom est mystérieuse. Le premier élément a souvent été
connecté avec loddari ‘décepteur (trickster)’, mais ce mot ne se
trouve que dans les textes tardifs et est probablement un emprunt du Germanique
de l’Ouest (cf. Vieil Anglais loddere, Moyen Bas Allemand
Lodder, Allemand Lotter) et, dans ce cas, on
ne pourrait pas le trouver dans le Hávamál…
***Hávamál 113***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Avec une magicienne
excellant en son art, tu ne dormiras
pas enlacé dans ses bras car elle
bloquera ainsi tes articulations. |
Avec une
magicienne inconnue, (ton égale en
pouvoirs,) tu peux bien
faire l’amour, mais ne
t’endors pas dans ses bras malgré tout le
plaisir qu’elle te donne car tu seras
alors à sa merci. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
113.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð ef þú getr -:
fjölkunnigri konu avec une très-connaissante femme
skal-at-tu í faðmi sofa, devras-non-tu ‘qu’ils soient enlacés’ (ou
‘du bras’) dormir,
svá at hon lyki þik liðum. ainsi qu’elle bloque (puisse bloquer) toi aux
jointures.
Traduction
de Bellows
113. […]
Méfie-toi de dormir | sur les seins
d’une sorcière,
Et ne laisse pas ses membres te
prendre au piège.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le nom masculin liðr signifie
une jointure, un membre (y compris membrum
virile) en poésie.
Le verbe lykja (bloquer) fait
lykði à la troisième personne
(singulier et pluriel) du subjonctif présent : ‘qu’elle te bloque’,
orthographié ici lyki.
Le nom masculin faðmr signifie
‘une mesure, les bras’ et le verbe faðma,
ici au subjonctif présent, signifie ‘embrasser, saisir dans ses bras’.
Le mot liðr, ‘articulation, jointure’, ici au datif pluriel, liðum,
peut se traduire soit par ‘aux (tes) jointures’, comme je le fais, soit par
‘avec les (ses) jointures’, comme la plupart des traducteurs le comprennent.
Mon choix vient de ce qu’une bonne sorcière n’a évidemment pas besoin de la
force physique de ses ‘jointures’ pour vous bloquer.
Commentaire
sur le sens de la strophe
Il me semble que l’usage ait été d’appeler une sorcière au sens
péjoratif du mot, une ‘mauvaise femme’. Une magicienne, avec un sens plutôt
laudatif, pouvait être appelée « une bonne femme » et de façon
neutre, sans faire allusion au bien et au mal dont elle est capable, ‘une femme
très instruite’.
On pourrait croire que ‘dormir enlacés’ c’est une façon de dire ‘faire
l’amour’, mais le mot est à comprendre au sens propre : si tu t’abandonnes
au sommeil dans la posture de l’amour, alors tu ouvres ton âme entière à la
magicienne qui peut ensuite faire de toi son esclave. Dans la version
prosaïque, « bloquer les articulations » prend bien sûr le sens de
‘rendre impuissant’ une sorcellerie archétypique qui a laissé beaucoup de
souvenirs aux craintes des hommes.
***Hávamál 114***
Explication
en vers
(En t’enserrant
ainsi dans ses bras)
Ainsi, elle te
change
pour que tu ne
prennes plus en compte
ni la parole du
Thing ni celle du prince,
de nourriture tu ne
voudras plus
ni prendre plaisir
avec un autre humain,
tu voyages vers un
triste sommeil.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
114.
Hon svá gerir
elle ainsi (te)
construit/prépare
at þú gáir eigi
que tu tiennes
compte non
þings né þjóðans máls; du Thing ni du prince la
parole
mat þú vill-at
viande/nourriture
tu voudras-non
né mannskis gaman, ni d’aucun humain le
plaisir,
ferr þú sorgafullr að sofa. voyages tu tristesse-plein au
dormir.
Traduction
de Bellows
114. Son pouvoir est tel | que tu
n’as plus l’esprit
au conseil ni aux aux autres
réunions;
La viande tu hais, | de la joie tu
n’as plus,
Et tristement vers le sommeil
accablant tu voyages.
Commentaire
sur le vocabulaire
Mannskis est le génitif de mann-gi (maðr suivi du suffixe négatif gi), il signifie ‘personne’.
Les verbes fara et ferja donnent tous deux ferr à la deuxième et la troisième
personne du présent singulier. Fara
signifie ‘aller, voyager’ et ferja
signifie ‘porter, transporter’ avec le sens possible de ‘faire traverser un
cours d’eau’. Dans cette strophe, la traduction grammaticalement correcte de ferr þú est évidemment ‘tu vas, tu
voyages’. Cependant, les sens « tu es transporté » et « tu
transportes » où le ‘ferr’
serait celui de ferja ne sont pas si
loin que cela l’un de l’autre.
Commentaire
sur le sens de la strophe
La traduction prosaïque contient un sens spirituel sans avoir besoin
d’une traduction spéciale. Bien évidemment, la magicienne est décrite comme
isolant sa ‘victime’ (ou son ‘élu’ ? ) du monde extérieur, un comportement
attribué aux ondines et aux fées dans les contes.
Cette strophe poursuit directement 113 et explique mieux les
conséquences d’avoir les « articulations bloquées » par une
magicienne. Cette expression signifie donc, en fait, perdre toute liberté. Le
dernier vers décrit de façon frappante le sinistre sort de celui qui se
laissera ainsi lier. L’interprétation prosaïque sous-entend que l’ensorcelé va
devenir complètement abruti. L’interprétation magique suppose que l’on accepte
une sorte de déviation de la grammaire stricte pour comprendre « tu es
transporté ». Dans ce cas, l’ensorcelé passe de ‘l’autre côté’ en
effectuant le parcours inverse des personnages qui fuient un sorcier : dès
qu’ils ont passé un certain cours d’eau, le pouvoir magique du sorcier
disparaît. Inversement l’ensorcelé se retrouve sans défense quand il est
« de l’autre côté ». Certaines versions de la légende arthurienne rapportent
que Merlin se serait ainsi laissé volontairement enchanter par Viviane. Ce type
de mythe est parent du contenu de 113 et 114 dont le sens général est de mettre
en garde les hommes contre les charmes (physiques et magiques) des belles
sorcières.
***Hávamál 115***
Explication
[…]
La femme d’un autre
Tu n’attireras
jamais à toi
comme une
‘amie-oreille’
(pour lui confier ce
que tu veux que son mari sache et recevoir d’elle ce que tu veux connaître de
son mari. )
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
115.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð ef þú getr -:
annars konu
d’un autre la femme
teygðu þér aldregi attires tu à toi jamais
eyrarúnu at.
amie-oreille pour.
Traduction
de Bellows
115. […]
Ne cherche jamais à gagner | la
femme d’un autre,
Ou bien languis-toi de son amour
secret.
Commentaire
sur le vocabulaire
Sur eyrarúnu. Le mot
désignant une rune, rún, est un
féminin ‘fort’ c’est-à-dire qu’il fait son datif en rún. Le mot voisin, rúna,
une amie, fait son datif en rúnu. Il
faut donc lire eyrarúnu comme le
datif de eyra-rúna : où eyra = oreille et où rúna = amie connaissant vos secrets. C-V
et de Vries donnent rúna =
‘confidente, bonne amie’ et rúni =
‘ami en qui on a confiance’. Dans ces mots, le sens de rún semble plutôt être celui de ‘secret’ que de ‘signe magique’.
Commentaire
sur le sens de la strophe
Les traductions classiques pensent bien au rôle de ‘personne recevant
tes informations confidentielles’ d’une ‘amie-oreille’ mais ne considèrent pas
que les amies, elles-aussi, vous confient des secrets, ce que j’ai rajouté. De
plus, 115 fait visiblement écho à la strophe 146, dans laquelle Óðinn parle du
dix-huitième chant runique qu’il ne confie qu’à une seule femme, sa sœur, et non
pas à la « femme d’un autre ».
Notez bien aussi que l’on tend à comprendre que l’homme va séduire
sexuellement son ‘amie-oreille’. La strophe ne suggère pas vraiment que le
magicien ait d’autres relations que d’absolue confiance avec son amie-oreille
ce qui, dans le contexte souvent conflictuel des relations sexuelles,
laisserait plutôt supposer qu’il s’agit d’une liaison platonique. Notre façon
de parler des ‘secrets sur l’oreiller’ n’est sans doute pas évoquée par cette
strophe.
***Hávamál 116***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Sur falaise ou au
fjord si tu y voyages
souvent prends soin de ton
repas. |
Sur falaise ou au
fjord si tu y voyages
souvent prends bien soin
de ta valeur. (afin de ne pas te
faire tuer par les forces du chaos, par exemple, les géants). |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
116.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð ef þú getr -:
áfjalli eða firði, Sur falaise ou au fjord
ef þik fara tíðir, si toi voyager fréquent/habile
à/avec ferveur
fásktu at virði vel. active-toi/trace vers le repas/la
valeur bien.
Traduction
de Bellows
116. […]
Si sur les montagnes et les golfes |
tu dois aller,
Prend soin de ta nourriture pour ton
chemin.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le nom masculin virðr ou verðr signifie ‘repas’. Il fait virði au datif.
L’adjectif verðr signifie
‘ayant de la valeur’. Le Lex. Poet. et de Vries donnent aussi le sens de
‘valeur’ (Lex. Pöet. : pretium rei =
valeur d’une chose) au nom neutre virði
qui reste virði au datif et à
l’accusatif.
Le verbe fá signifie soit
‘attraper’ soit ‘tracer’. En particulier, fá
rúnar signifie ‘tracer des runes’. Il est ici suivi du réflexif –sk et du pronom personnel de la
deuxième personne pour donner fá-sk-tu.
Commentaire
sur le sens de la strophe
Superficiellement, la seule différence entre les deux traductions
ci-dessus tient seulement au fait de lire dans l’une virði comme étant le datif de virðr
(repas) et dans l’autre, celui de virði (valeur).
Il est certain pour moi que ce malentendu est volontaire de la part d’Óðinn
: la nourriture est nécessaire pour conserver sa force, laquelle porte la
valeur quand on voyage sur des chemins difficiles.
Ceci étant, l’interprétation magique de cette strophe est très
différente, en réalité, de l’interprétation prosaïque. Les « voyages par
falaises ou par fjords » désignent des randonnées magiques très difficiles
que seuls de rares sorciers (ou chamans) peuvent effectuer. Ils demandent un
travail extrêmement lourd pour qu’ils se terminent à l’avantage du sorcier, et
leurs chances de succès sont minces. Pour augmenter ses chances, Óðinn
recommande ici au sorcier de préparer soigneusement son voyage en emportant
avec lui toutes les nourritures spirituelles dont il peut avoir besoin.
L’aspect insignifiant de la compréhension prosaïque disparaît donc dans
la compréhension magique.
***Hávamál 117***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension
magique |
À un mauvais humain, ne laisse jamais connaître ta
malchance. Parce que d’un
mauvais humain tu ne
recueilleras jamais de récompense
pour ton esprit bon (ouvert). |
À un autre
sorcier ne laisse jamais connaître tes
faiblesses. Parce que d’un
sorcier n’accorde jamais compassion pour
confession. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
117.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð ef þú getr -:
illan mann
du mauvais humain
láttu aldregi
laisse jamais
óhöpp at þér vita, malchance à toi connaître
því at af illum manni à qui (va)/parce que vers un mauvais
humain.
fær þú aldregi recueille(s)/grave(s)
il (tu) jamais
gjöld ins góða hugar. récompense du bon esprit.
Traduction
de Bellows
117. […]
Un mauvais homme | tu dois pas
mettre
Au courant du mal qui t’es advenu;
Car un mauvais homme | ne donnera
jamais
Une récompense pour une pensée de
valeur.
Commentaire sur le vocabulaire
Comme déjà signalé dans 116, le verbe fá signifie ‘obtenir, tracer’ et fær signifie à la fois ‘il/elle obtient ou
trace’ et ‘tu obtiens ou traces’.
Commentaire
sur le sens de la strophe
La traduction prosaïque que je donne est essentiellement la même que
celle donnée par les traducteurs. Vous notez qu’elle exprime une évidence d’une
grande naïveté. Dans la version magique, le « mauvais homme » est
devenu un sorcier et la strophe nous donne une propriété importante des
sorciers en général : ils n’ont rien à faire de la compassion et il est
inutile de chercher à les attendrir. La magie en général, et en particulier
celle des runes, n’a que faire de nos petites émotions elle se pratique avec
une grande sévérité. Ainsi, les deux derniers vers disent aussi que, toi aussi,
tu ne graveras jamais de runes simplement pour récompenser un ‘bon esprit’.
J’ai essayé de rendre ceci en traduisant de façon impersonnelle ces deux
derniers vers.
***Hávamál 118***
Explication
Note :
Entre crochets, [ou : fonte grasse… ]
contient l’interprétation magique des mots en italique de l’interprétation
banale.
J’ai
vu, bien assez rapidement,
la
parole perfide d’une sorcière
mordre
un homme;
une langue de mauvais conseil
[ou : une parole magique]
lui
apporta la mort
bien
que ce dont on l’accusait
ne fut point prouvé, c. à d. ,
car la calomnie peut tuer.
([ou : car un(e) sorcier(ère) ne s’occupe pas de
preuves juridiquement valables avant de lancer sa malédiction]).
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
118.
Ofarla bíta Après quelque temps mordre
ek sá einum hal j’ai vu un homme
orð illrar konu; le mot d’une mauvaise femme;
fláráð tunga
perfide-conseil langue
varð hánum at fjörlagi fut à lui la mort
ok þeygi of sanna sök. et bien que non ‘de’ prouver
l’accusation.
Traduction
de Bellows
118. J’ai vu un homme | cruellement
blessé
Par le mot d’une malfaisante femme;
Une langue menteuse | lui porta un
coup mortel,
En lequel ne se trouvait aucun mot
de vérité.
Commentaire
sur le vocabulaire
fláráð = flár-ráð. Le sens de flár est compris entre ‘souple’ et
‘perfide’, (voir 45, 90, 91) et ráð
signifie ‘conseil, avis, prévision, conseil sage, accord, gestion de la maison,
mariage’. Ici, le pire des sens de flár,
perfide, me paraît indiqué au contraire des instances précédentes, utilisées
dans un autre contexte. Dronke et Orchard le traduisent par ‘lie-telling’
(mensonger) et ‘insidious’ (insidieux).
fjörlagi = fjör-lag = (vie, corps
vivant)-(ici, en poésie : coup de poignard) = la mort.
Le verbe sanna signifie
‘prouver, affirmer’ de façon forte puisqu’il peut prendre le sens de
‘condamner’ et sa forme réflexive, sannask
(‘prouver soi-même’) a le sens de ‘avouer, confesser’.
Commentaire
sur le sens de la strophe
En traduisant les vers 3-4-5 par « la parole d’une mauvaise femme
peut donner la mort », on induit immédiatement l’idée de calomnie,
laquelle est évidemment possible. Dans un contexte magique, je ne pense pas
qu’une « femme vraiment mauvaise » s’abaisserait à de la calomnie,
son pouvoir est bien plus grand que cela. Par contre, une malédiction bien
ficelée tuera son homme sans problème, ni trop d’interrogations sur la
justification de cet acte. Là encore, la magie est présentée sans complaisance,
sous son aspect réel.
Ceci étant, il ne faut pas oublier que la magie s’appuie aussi sur la
réalité ordinaire et qu’une malédiction médisante sera considérablement plus
difficile à ‘bien ficeler’. Dans ce cas, la magie devient une sorte de
« jugement de Dieu » comme disaient les chrétiens : si elle est
effective, alors la culpabilité est prouvée, sinon, c’est la sorcière qui
meurt. En d’autres termes, la culpabilité n’est pas toujours prouvée au sens
juridique, certes, mais le/la sorcier(ère) doit être profondément convaincue de
la justesse des accusations portées contre la personne qu’elle/il maudit,
composer sa malédiction en fonction de ces accusations … et prendre ses
risques.
***Hávamál 119***
Explication
en vers
Sais-tu, si tu as
un/e ami/e
en qui tu as
vraiment confiance,
tu voyageras souvent
pour le/la retrouver;
parce que poussent
buissons
et hautes herbes
sur le chemin qu’on
foule rarement.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
119.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
veistu, ef þú vin átt Sais-tu, si tu un(e) ami(e) as
þann er þú vel trúir, lequel il tu bien as confiance,
far þú at finna oft, voyages tu ‘à’ trouver souvent,
því at hrísi vex parce que ‘à’ buisson pousse
ok hávu grasi et de la haute herbe
vegr, er vættki treðr. le chemin, que rarement il foule.
Traduction
de Bellows
119. […]
Si tu as un ami | en qui tu as
pleinement confiance,
Alors voyage souvent pour le
retrouver;
Car des ronces poussent| et les
herbes ondulent
Sur la route rarement foulée.
Commentaire
sur le sens de la strophe
Cette strophe traite des relations entre amis
qu’ils soient ou non de ce monde-ci. Dans le cas des amis humains, le sens de
la strophe est évident. Dans le cas des amis magiques, le sens est moins
évident car le ‘voyage’ qu’on fait pour les retrouver se fait avec son âme.
Chaque sorcier, chaque chaman porte en lui des ‘amis’ magiques qu’il convient
de pas délaisser sinon ils vont disparaître. Je vous rappelle aussi le vers 7
de la strophe 44 qui recommande de voyager pour aller souvent retrouver son ami
et je vous renvoie au sens magique de 44.
Cette insistance de la part d’Óðinn à recommander
une sorte d’évidence pourra paraître ridicule à certains. Quant à moi, combien
de fois ai-je rencontré des débutants qui sont émerveillés par la rencontre
qu’ils font avec certains ‘esprits’ et qui, l’an d’après, parlent avec mépris
de leur propre sensation ?
Commentaires d’Evans
119
5-6 se trouvent aussi dans les st. 44, et 8-9 aussi (virtuellement)
dans Grímnismál 17.
***Hávamál 120***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Une bonne
personne tu l’attireras
à toi par des paroles plaisantes et apprends les
charmes de bienveillance, tant que tu
vis. |
Une bonne
personne tu l’attireras
à toi par les runes du plaisir et utilise la
magie du galdr pour gagner magiquement sa bienveillance, tant que cela
t’est laissé (jusqu’à ta mort). |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
120.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
góðan mann
une bonne personne
teygðu þér at gamanrúnum
attires-tu à toi aux runes de plaisir
ok nem líknargaldr, meðan þú lifir. et saisis un galdr de
guérison et de bienveillance,
tant que tu vis.
Traduction
de Bellows
120. […]
Un homme bon | l’avoir comme ami,
Et prends bien en compte ses charmes
de guérison.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le mot líkn prend les sens de
guérison, de confort, de grâce, de bienveillance. Un líknargaldr va donc être toujours compris comme un charme de guérison
ou de bienveillance. Dans le contexte de 120, il est au contraire clair qu’il
n’y a rien à guérir. Par contre, il y a tout à gagner à obtenir les bonnes
grâces, la bienveillance d’une bonne personne, comme le suggère Jónsson. Dans
son interprétation, cependant, il supprime froidement le mot ‘galdr’, en effet inutile si l’on veut
absolument qu’il ne soit pas question de magie.
Le verbe lifa signifie
‘vivre’ mais aussi ‘demeurer, rester’.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Dans la strophe 161, Óðinn dit qu’il peut obtenir, par l’effet de sa 16ème
incantation magique « geð allt ok
gaman (tout l’esprit et le plaisir) » de sa « sage et savante
bien-aimée » qui doit donc certainement être une « bonne
personne ». Cependant, ici, il s’agit d’attirer un humain en général, pas
spécialement une femme. Ainsi, la strophe 47, qui affirme « maðr er manns gaman (l’humain est de
l’humain le plaisir) », est encore plus pertinente ici que 161. Le plaisir
dont parle 120 n’est donc pas toujours sexuel, le plaisir d’échanger avec un
ami, par exemple, est plus certainement évoqué ici. Il ne suffit pas de
séduire, encore faut-il plaire, d’où l’usage supplémentaire des galdr de bienveillance.
En fin de compte, ces trois petits vers soulignent l’importance
qu’Óðinn accorde aux relations entre humains, en particulier s’ils sont
magiciens : ils doivent alors mettre leur magie au service de ce
« partage des âmes » dont parle la strophe 44.
Commentaires d’Evans
120
7 líknargaldr ‘charmes de guérison’ (seulement ici). Ce à
quoi réfère ce mot n’est pas clair SG l’explique comme ‘l’art de vous faire
aimer’ (cf. 123). Finnur
Jónsson suggère que ce mot ne signifie en fait rien de plus que líkn
‘bienveillance’, mais -galdr n’apparait jamais ailleurs en tant
que suffixe vide.
***Hávamál 121***
Traduction
la plus proche possible du mot à mot
De ton ami(e)
ne sois-tu jamais
trop tôt (porté) à
l’abandon;
la tristesse te
mange le cœur,
ce que tu dis
n’atteint pas
l’âme entière de
quelqu’un.
Explication
en vers
De
ton ami/e
ne
sois jamais
le
premier à l’abandonner,
la
tristesse te mange le cœur
si
ce que tu dis n’atteint pas
de
l’autre l’âme entière.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
121.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
vin þínum
d’un(e) ami(e)
tien(ne)
ver þú aldregi sois tu jamais
fyrri at flaumslitum; plus tôt à l’abandon;
sorg etr hjarta, tristesse elle/tu mange/s le cœur
ef þú segja né náir si tu dire/affirmer (ou ils
affirment) non atteint
einhverjum allan hug. de quelqu’un toute l’âme.
Traduction
de Bellows
121.
Mais jamais ne sois le premier | à
rompre avec ton ami
Le lien qui vous tient tous deux;
Le souci ronge le cœur | si tu ne
peux parler
Avec un autre de tout ton cœur.
Commentaire sur le sens de la
strophe
La deuxième partie de cette strophe évoque fortement la strophe 44 qui
parle d’une fusion des âmes » entre amis et prolonge 119 et 120.
« Ton cœur sera dévoré de tristesse si personne n’entend tes paroles
de toute son âme » me semble une excellente règle de vie, difficile à
appliquer, cependant.
***Hávamál 122***
Explication
en vers
Il ne faut jamais
échanger des paroles,
Dans lesquelles tu
t’ouvres à l’autre humain
Avec une personne
non-sage et à peine humaine. [suite dans 123]
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
122.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
orðum skipta les mots partager
þú skalt aldregi tu dois (partager) jamais
við ósvinna apa. avec un non-sage singe.
Traduction
de Bellows
122. […]
Échange de mots | avec un singe
stupide
Tu ne dois jamais avoir.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le mot api signifie un singe.
C-V signale qu’il est rarement utilisé pour désigner un animal mais fournit
plusieurs instances où ce mot s’applique aussi à un géant. Les géants sont tous
les représentants du chaos et certains sont qualifiés d’intelligent ou
d’instruits. Cela témoigne bien de la double nature du chaos : d’un côté
générateur d’absurdité, d’un autre source de créativité.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Ici encore, 123 semble exprimer une extrême banalité. Par contre, si
nous la replaçons dans un contexte runique, elle devient un conseil précieux
que nous donne Óðinn : certaines runes représentent l’aspect chaotique de
nos vies, et elles doivent être prises en compte avec précaution, car « il
ne faut jamais utiliser la magie des aspects ‘simiesques’ (stupides ou
inhumains) des runes de chaos. Utilisez leur aspect créatif ».
***Hávamál 123***
Traduction
la plus proche possible du mot à mot et
compréhension banale
C’est
ainsi : de la part de mauvais humains,
personne
n’a jamais pu obtenir leur attention
à
quelque récompense pour le bien (fait à ces mauvais humains);
mais
un humain bon
lui/elle,
fait attention à être tout à fait capable de
guérison
et bienveillance en récompense de ta louange et ce qui tu lui as permis de
faire.
Compréhension magique
Quand
tu traites avec un/e sorcier/ère méchant/e
fais-le
sans essayer d’ajouter une dose d’amitié
au
contrat que vous passez ensemble.
Par
contre, si le/la sorcier/ère est capable d’amitié,
alors
il/elle sera sensible à tes avances et à tes louanges
et
il/elle n’hésitera pas à te soigner avec bienveillance
au lieu de rester indifférent/e à ton sort, hors de votre contrat.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
123.
Því at af illum manni Parce que d’un mauvais humain
mundu aldregi ils ne firent jamais attention
góðs laun of geta, du bien les récompenses obtenir,
en góðr maðr mais un bon humain
mun þik gerva mega il fait attention à toi clairement être capable de
líknfastan at lofi. guérison-/bienveillance-rapide à
la louange/permission.
Traduction
de Bellows
123. Car jamais tu ne pourras | d’un
mauvais homme
Être payé de retour;
Mais souvent un homme bon, | l’amour
le plus profond
Tu gagneras par des paroles de
louange.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le verbe muna est rencontré
ici au vers 2 (mundu, 3ème
personne du pluriel, prétérit) et au vers 6 (mun, impératif ou 1ère ou 3ème personne du
singulier, présent). Il signifie ‘faire attention, se rappeler’ (y compris avec
gratitude ou hargne).
L’adverbe görva (ici sous la
forme gerva) signifie ‘clairement,
tout à fait’.
Le verbe mega signifie ‘être
capable de, profiter de’
Commentaire sur le sens de la
strophe
Encore une fois, la compréhension prosaïque de cette strophe est d’une
extrême banalité alors que sa compréhension magique est tout à fait
significative. Gagner ou non la confiance et l’amitié du magicien qui s’occupe
de vous est d’une extrême importance.
Dans la vie de tous les jours, pensez à la différence entre un médecin
qui cherche à vraiment vous comprendre et celui qui, tout compétent fût-il,
vous traite comme un cas de maladie et non pas comme un malade. Si vous avez
séjourné en hôpital, vous savez que cette différence peut même devenir de celle
qui sépare guérison et rechute.
Commentaires d’Evans
123
6 líknfastan at lofi n’est pas
clair. Líknfastr, trouvé seulement ici, est généralement
expliqué par les éditeurs comme ‘assuré de faveur’, i. e. populaire, aimé, bien
que ‘popularité’ semble une curieuse extension du sens de líkn, qui
signifie normalement ‘réconfort, confort, merci’. Mais voir la strophe précédente,
où lof et líkn sont aussi mis en parallèle. Il n’y
en fait pas d’alternative acceptable à comprendre ce vers autrement que ‘assuré
de faveur quant à la louange’, c. à d. ‘généralement apprécié et loué.
[Le sens magique de cette strophe évite ces
complications. ]
***Hávamál 124***
Explication
Note :
Entre crochets, [ou : fonte grasse… ]
contient l’interprétation magique des mots en italique de l’interprétation
banale.
Pour fusionner par affinité
chacun doit ouvrir
à un seul tout son esprit;
[ou : la vraie fusion ne se fait qu’une fois dans
sa vie, avec une seule personne. ]
tout
est préférable
à
se montrer cassant.
Il
n’est pas vraiment un ami,
celui qui dit toujours la même
chose à son ami.
[ou : celui qui n’évolue pas en même temps que son ami]
[l’interprétation classique de ce vers
est :
« celui
qui dissimule la vérité à l’autre ». ]
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
124.
Sifjum er þá blandat,
Par les affinités est alors joint
hver er segja ræðr
eux
qui dire il conseille
einum allan hug;
à un seul tout l’esprit;
allt er betra
tout est meilleur
en sé brigðum at vera;
que soi brisant être;
er-a sá vinr öðrum, er vilt eitt segir. est-non cet ami à
l’autre, qui pour vouloir une
seule chose il
dit.
Traduction
de Bellows
124. Fusionnel est l’amour | quand
un homme peut dire
À un autre toutes ses pensées;
Rien n’est aussi mauvais | que de se
montrer faux,
Aucun ami ne dit seulement que le
convenable.
Autres
traductions du dernier vers
Dronke: « only tells
facts that please » (ne dit que des choses qui plaisent).
Orchard: « only says the one
thing » (ne dit qu’une seule chose).
Boyer : « approuve toujours ».
Commentaire
sur le vocabulaire
Le préfixe ein- exprime une
forme d’unicité (‘un et un seul’) mais le mot utilisé ici, einn, peut avoir les deux sens de ‘un parmi d’autres’ et de ‘un et
un seul’. Le lecteur reste libre de comprendre ce qu’il désire. Dans la version
magique, j’ai fait le choix du sens incluant l’unicité car la tradition ne nous
présente guère de ‘club des magiciens’ et même les simples prestidigitateurs
actuels sont fort jaloux de leurs connaissances. De façon humoristique, vous
pourrez remarquer que même les druides de la série des ‘Astérix’ ne se rencontrent
que pour concourir, non pour partager leurs connaissances. Le même discours
s’applique encore plus évidemment au eitt
du dernier vers.
La forme blandat est le supin
du verbe blanda, ‘mélanger,
fusionner’. Comme pour le supin Latin, on le traduit par « pour +
infinitif ».
Le mot féminin sif désigne,
au singulier, la déesse Sif, femme de Þórr et au pluriel l’affinité, le
mariage.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Quand on pense à des affinités matérielles, intellectuelles ou morales
qui peuvent rester figées pendant des années, le dernier vers est plus ou moins
en contradiction avec les précédents : dire la vérité c’est souvent, dans
la vie de tous les jours, se montrer brisant et pourtant, si tout est meilleur ( allt er betra ) alors mentir par amour
ou amitié devrait être meilleur qu’énoncer une vérité que votre ami n’est pas
encore prêt à recevoir.
Pensez aussi à l’insupportable ennui que génèrerait une relation
totalement fusionnelle où les deux partenaires d’une telle union se diraient
tout le temps la même chose.
La magie inexprimable, même pour un brillant littérateur comme
Montaigne, du « parce que c’était lui, parce que c’était moi » se
retrouve ici sous la forme du « ne pas dire toujours la même chose »
que nous fournit le mot à mot (et Orchard). Les deux amis évoluent ensemble,
chacun poussant l’autre à changer, et ils comprennent et apprécient leur
évolution mutuelle.
Il est plaisant pour moi de rencontrer une interprétation magique que
la littérature classique connaisse bien et que, pourtant, elle n’en soit pas
moins magique.
Commentaires d’Evans
124
1 Sifjum
‘parenté’, ici, de façon unique, en un sens métaphorique.
5 brigðum est le datif singulier de l’adj. brigðr
‘faux, trompeur’. Ce datif est usuellement expliqué (Finnur Jónsson, SG) par
l’attraction d’un manni sous-entendu. La proposition
de Kock d’une émendation … n’est pas justifiée, car cette construction se
rencontre ailleurs: gott er vammalausum vera Solarljöð 30, illt
er veillyndum at vera Hugsvinnsmál 127…
***Hávamál 125***
Explication
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Échanger trois
mots (coléreux) avec une
mauvaise personne, tu ne dois pas. Souvent le
meilleur échoue, alors que le
mauvais combat et frappe. |
Tu ne dois pas,
avec un sorcier mauvais, entrependre un
combat de mots magiques, fût-il réduit à
trois runes. Souvent le
meilleur magicien échoue, alors que le
mauvais combat et frappe. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
125.
Ráðumk, þér Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
þrimr orðum senna
Par trois mots échanger
skal-at-tu þér við verra mann devras-non-tu à toi avec plus
mauvais (que toi) humain
oft inn betri bilar,
souvent lui le meilleur échoue,
þá er inn verri vegr.
alors que lui le mauvais
combat/frappe.
Traduction
de Bellows
125. […]
Ne parle pas avec un home pire que
toi | trois mots en dispute,
Le meilleur reçoit le pire souvent
Quand le pire tire l’épée.
Commentaire
sur le vocabulaire
L’adjectif þrír, trois, fait þrimr au datif.
Le verbe vega peut venir de
deux étymologies différentes. La première origine lui donne les sens de
‘bouger, lever, peser’. La seconde donne ‘combattre, abattre, tuer’.
’
Commentaire sur le sens de la
strophe
Dans la vie ordinaire, échanger trois mots, même coléreux, ne mène pas
très loin, sauf avec une personne exceptionnellement violente. Entre sorciers,
ces mots contiennent des malédictions. Il n’est pas si évident que cela qu’un
sorcier habitué à maudire soit plus dangereux qu’un sorcier habitué à guérir,
au contraire. En effet, les malades, surtout ceux en phase terminale, agressent
sauvagement leurs guérisseurs qui savent se défendre - ou bien ils meurent
rapidement.
La recommandation d’Óðinn est plutôt ici : « Ne perds pas
inutilement ton énergie à t’opposer à des acharnés sans intérêt. »
Commentaires d’Evans
125
6 þér is dative of comparison
with verra. The word order is awkward: Bugge and Jón Helgason
emend þér við to við þér.
***Hávamál 126***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Ne sois pas un
cordonnier ni un
fabriquant de tige des flèches, sauf si tu les
fabriques pour toi-même, qu’un soulier
soit mal formé ou que soit
tordu un fût de flèche alors on
demandera qu’il t’arrive malheur. |
N’exerce pas
ton art pour faire avancer les choses ni pour arrêter
une action (ou
jeter un sort, cf. s. 145), sauf s’il
s’agit de ta propre destinée, que les choses
n’avancent plus ou que l’action
(ou
‘le jet de sort’) tourne mal, alors la haine
s’abattra sur toi. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
126.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
skósmiðr þú verir soulier-artisan (que) tu fusses
né skeftismiðr, ni fûts_de_flèches-artisan,
nema þú sjálfum þér séir, sauf tu toi-même à eux vois,
skór er skapaðr illa un soulier est formé mal
eða skaft sé rangt, ou un fût de flèche soit non-droit
þá er þér böls beðit. alors est de toi malheur est demandé.
Traduction
de Bellows
126. […]
Sois un cordonnier, | ou un artisan
archer,
Seulement pour toi-même;
Si le soulier et smal fait, | ou la
flèche est tordue,
Alors on te maudira.
Commentaire
sur le vocabulaire
Les mots skepti (= skefti) et skapt signifient le fût d’une flèche, c’est-à-dire la partie
centrale et longue de la flèche.
Commentaire sur le sens de la
strophe
L’interprétation prosaïque donne deux exemples précis de la punition
sociale associée à un échec de l’artisan cordonnier et archer. Il est clair que
l’on pourrait dire de même de tous les corps de métier. La fureur qui s’abat
sur les médecins coupables d’erreurs, alors qu’ils ont été longtemps protégés
par leur haute spécialisation, nous en donne un exemple actuel. Mais tout ceci
est absurde : avec quoi vit un artisan s’il ne doit pas exercer son
art ?
Les deux exemples donnés dans cette strophe sont très significatifs si
on les comprend comme des métaphores. J’ai choisi comme vraisemblable le fait
que la métaphore associée aux souliers soit celle d’une situation où le sorcier
doit résoudre un problème et celle associée à la flèche soit ou bien celle d’un
processus que le sorcier est censé stopper, ou bien celle de jeter un mauvais
sort (bien entendu, du point de vue de la sorcelleris, ces deux dernières
actions vont ensemble). Ainsi, la recommandation d’Óðinn se comprend
comme : « Ne te mêle pas d’intervenir dans la destinée des autres,
que ce soit pour arrêter ou résoudre leurs problèmes ». Remarquez que les
sorciers jeteurs de sorts passent leur temps à se mêler de la destinée des
autres alors que les sorciers guérisseurs cherchent seulement aider une
destinée à retrouver son cours ‘normal’. En effet, le sorcier de la malédiction
veut exercer son pouvoir à tout prix, alors que le sorcier de la guérison ne
peut qu’aider son patient à cesser de s’autodétruire. Ainsi, le conseil d’Óðinn
peut aussi se comprendre comme « Ne sois pas imbu de ton pouvoir au point
de l’utiliser sans en peser les risques. »
Commentaires d’Evans
126
5-6 Dans 139 (við
hleifi... né við hornigi), ci-dessous, vous trouverez un
exemple illustrant le fait que la négation né s’applique soit à
l’élément qui la précède, soit à celui qui la suit.
8-9 Pour le passage de l’indicatif au subjontif dans deux clauses
conditionnelles coordonnées cf. 30
ci-dessus [J’ai en effet traduit dans le mot à mot par « un
soulier est » et
« un fût de flèche soit »]. L’instance présente diffère, cependant, en ceci que ef
n’apparait pas. Pour une omission similaire de ef dans
des phrases conditionnelles à l’indicatif, cf. gestr em ek Gjúka Grípisspá 14.... Cet usage est
particulièrement commun dans les textes légaux.
***Hávamál 127***
Explication
en vers
Quand tu reconnais
une mauvaiseté
[ou un/e mauvais/e
sorcier/ère]
annonce-le/la pour
mauvais/e
et ne laisse jamais
en paix ces ennemis.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
127.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
hvars þú böl kannt,
de ce que tu mauvais connais,
kveð þú þér bölvi at
dis tu le mauvais
ok gef-at þínum fjándum frið. et donne-non aux ennemis la paix.
Traduction
de Bellows
127. […]
Si tu connais quelque mal, |
proclame-le comme mal,
Et ne te lie pas d’amitié avec tes
ennemis.
Commentaire sur le sens de la
strophe
« Malheur à celui par qui le scandale arrive ! » n’est
pas un adage nouveau puisqu’on en trouve déjà la trace dans l’évangile de Luc
17-1. Il me semble donc peu probable qu’Óðinn s’adresse ici à tout un chacun.
Seuls ceux qui sont assez forts peuvent se permettre de dévoiler les scandales
dans leur société. Dans le contexte du Hávamál, les sorciers ayant connaissance
des runes emblent donc en première ligne pour avoir ce rôle.
***Hávamál 128***
Explication
en vers
Ne te réjouis jamais
du mal
Mais laisse-toi
aller
au plaisir de faire
le bien.
[Et
le sens magique ajoute simplement :
Dans ton rôle de
‘bon’ sorcier]
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
128.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
illu feginn
du mal réjoui
ver þú aldregi, sois tu jamais,
en lát þér at góðu getit. mais laisse toi au bien pris plaisir.
Traduction
de Bellows
128. […]
Jamais dans le mal | tu ne connaitras
la joie,
Mais le bien te rendra heureux.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Voici encore une strophe où la notion de ‘bien’ est de ‘mal’ est
utilisée sans que l’on sache exactement ce que cela signifie. Dans notre
société actuelle, nous avons une idée assez exacte de ce qui est le bien et le
mal. Cependant, toutes les strophes 1 – 95 nous donnent des conseils sur le
bien et le mal tel qu’Óðinn les conçoit et les strophes 96 – 110 décrivent les
catastrophes associées à un comportement incorrect avec les femmes. La présente
traduction, faite en évitant soigneusement d’introduire des concepts chrétien
ou modernes dans la compréhension des strophes, vous permet de faire vous-mêmes
votre idée sur ce qu’était la moralité recommandée par Óðinn. J’ai donné ma
propre compréhension de cette moralité (en y ajoutant mes connaissances en
matière de runes) dans mon texte sur l’éthique runique : https:
//sites. google. com/site/futharketsesrunes/ethique-runique.
Vous constaterez que j’y insiste beaucoup sur le fait les notions de
‘bien et de mal’, telles que nous les comprenons actuellement, ne sont pas
significatives en éthique runique. Ici, les mots illr et góðr sont
essentiellement intraduisibles. Le fait qu’ils soient encore utilisés en
Islandais moderne ne signifie évidemment pas qu’ils soient utilisés dans le
même sens qu’à l’époque païenne.
Commentaires d’Evans
128
7 Pour geta
suivi d’un datif, et prenant le sens de ‘trouver plaisir à, se réjouir de’ cf. la saga de Gretti ch. 64: eigi
læt ek mér at einu getit. Cet
idiome est maintenant obsolète en Islandais, n’a pas été compris par les
copistes de certain manuscrits papier tardifs, qui ont substitué þín
pour þér
(donnant, évidemment, un sens différent).
***Hávamál 129***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Tu ne
regarderas pas vers le haut pendant la
bataille, - semblables à
des porcs apeurés sont les fils
de l’homme – à moins que
certains n’enchantent à ton entour. |
Tu ne feras pas
d’invocations magiques pendant la
bataille, - ta magie
serait sans effet sur des humains apeurés comme
des animaux domestiques – à moins que tu
ne te heurtes à d’autres magiciens en train d’incanter. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
129.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
upp líta
vers le haut regarder
skal-at-tu í orrustu, vas-non-tu dans la bataille,
- gjalti glíkir
- à des porcs semblables
verða gumna synir - sont des humains les fils -
síðr þitt um heilli halir. sauf à ce que toi (acc. ) autour ils
enchantent les hommes
Traduction
de Bellows
129. […]
Ne regarde pas vers le haut | quand la
bataille est en cours,--
(Comme fous sont devenus | les fils
des hommes,--)
Sauf si des hommes ensorcellent tes
sens.
Commentaire sur le sens de la
strophe
On se demande pourquoi il ne faudrait pas regarder en haut, sauf à
imaginer qu’on cherche à s’évader des dangers de la bataille. On peut alors
traduire par « regarde tes ennemis en face » ce qui n’est pas plus
logique (sauf qu’on évite de parler de magie) que mon « ne prononce pas
d’incantations ». Dans la version magique, le lien entre les vers au
centre de la strophe et les autres est réalisé par l’enseignement d’Óðinn que
des humains affolés ne sont plus sensibles à une influence quelconque, même pas
magique. Le dernier vers nous dit que si, par contre, d’autres magiciens se
trouvent dans les rangs adverses, alors seule la magie pourra tirer d’affaire
l’armée amie. De cette façon, la strophe est cohérente du début à la fin à
condition que l’on considère que, dans la batailles de la réalité prosaïque, la
magie doit être utilisée uniquement de façon défensive. Ceci me paraît donc
être la leçon cachée de cette strophe.
Que de telles pratiques aient existé me paraît incontestable. Jordanes,
dans son ouvrage « Origine et actions des Goths » datant du 6ème
siècle parle de sorcières guerrières, appelées Allrunnæ qui, d’après lui, ont
été expulsées des armées Goths autour de l’an 400. Ceci est encore attesté à la
fin du 15ème siècle dans l’ouvrage des inquisiteurs Kramer and James, Malleus maleficarum, qui contient de
virulents conseils pour éliminer l’usage de la magie dans les batailles. Sans
condamner personne, Óðinn , de son côté déconseille seulement l’usage offensif
de ces pratiques.
Commentaires d’Evans
129
7 gjalti
(datif) est un emprunt de l’Irlandais ancien geilt (devenu maintenant gealt)
‘celui qui devient fou de terreur …’ Ceci est l’occurrence la plus ancienne de
ce mot en Norrois et sa seule apparition en poésie …
9 þik - le þitt du manuscrit est conservé par de nombreux éditeurs,
pour signifier quelque chose comme ‘toi et les tiens’; le plus proche parallèle
est sitt bjó sannvinr rétta... til betra dans un
poème du 13ème siècle de Amundi Árnason …
***Hávamál 130***
Explication
en vers
Compréhension banale du
sens des mots |
Compréhension magique du
sens des mots |
Si tu veux trouver une femme bonne et la fréquenter (même en secret). et si tu veux trouver joie en cela, belles promesses dois-tu faire et les tenir fermement.
Chacun aime
recevoir le bien, s’il l’obtient. |
Si tu veux
t’attirer une magicienne qui ne soit pas une « mauvaise femme » (une sorcière au sens péjoratif) tu dois en
appeler aux runes du plaisir. Et si tu veux
trouver joie en cela, certes, belles
promesses dois-tu faire mais surtout
les tenir fermement (ne jamais rompre le contrat contenu dans tes promesses).
Même une magicienne
qui lit dans ton jeu t’en sera reconnaissante et te récompensera. (cf. 123) |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
130.
Ráðumk
þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
ef þú vilt þér góða konu si tu veux à toi une bonne femme
kveðja at gamanrúnum appelles-en aux runes du plaisir
ok fá fögnuð af,
et obtenir joie de cela,
fögru skaltu heita
bellement vas-tu promettre
ok láta fast vera;
et laisser ferme
être;
leiðisk manngi gótt, ef getr. déteste personne le bon, s’il
l’obtient.
Traduction
de Bellows
130. […]
Si tu désires gagner | l’amour d’une
femme,
Et obtenir contentement d’elle,
Que tes promesses soient belles | et
bien tenues;
Personne ne déteste ce qu’il reçoit
de bon.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le verbe kvedja signifie ‘en
appeler à, requérir’
Le mot gamanrúnum est le datif pluriel de gamanrún = gaman-rún =
plaisir-rune.
Bellows traduit ce mot par ‘gagner amour’, Boyer par ‘joyeux
entretiens’, Dronke par ‘give her love in secret (donner son amour en secret)’
et Orchard par ‘talk in intimacy (discuter intimement)’.
Commentaire sur le sens de la
strophe
La strophe 120 recommande déjà l’usage des gamanrúnum en matière de séduction mais, comme nous l’avons vu,
sans spécifier qu’il s’agissait de séduire une femme. Ici, il s’agit donc de
construire une relation de couple. La strophe 130 spécifie que, dans ce cas, le
contrat passé entre les partenaires doit faire la part belle à la femme et
qu’il ne faut pas revenir sur les avantages qu’on lui accorde. Le dernier vers,
qui a l’air insignifiant, est là pour nous rappeler les strophes 84, 90, 92 où
Óðinn décrit combien il est difficile de s’attacher durablement une femme et la
strophe 91 où Óðinn remarque que les hommes ne respectent pas souvent les
termes du contrat qu’ils ont passé avec une femme, bien que cela ait été dans
le but de construire une relation stable avec elle.
L’interprétation magique ne diffère de l’autre que par le fait qu’une
‘bonne’ magicienne est encore plus délicate à manier qu’une femme ordinaire et,
implicitement, qu’il ne faut même essayer de se lier avec une magicienne
‘mauvaise’.
Commentaires d’Evans
130
Le dernier vers peut être issu d’un proverbe préexistant: il est très général
et n’est vraiment rattaché par son sens aux vers qui le précèdent.
***Hávamál 131***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Je te prie de
voir ici un avertissement et non pas une
prudence exagérée; Sois
extrêmement prudent dans ta consommation de bière, et avec la
femme d’un autre et en plus,
troisièmement, ne laisse pas
duper par les voleurs. |
Je te prie de
voir ici un avertissement et non pas une
prudence exagérée; N’exagère
jamais en consommant la bière sacrée, ni dans tes
rapports avec une sorcière mariée, qu’elle soit ‘bonne’ ou ‘mauvaise’, et de plus,
(quand tu rencontres des inconnus), méfie-toi de
tous ceux qui cherchent à subtiliser tes pouvoirs. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
131.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
varan bið ek þik vera Avertissement prie je à toi être
ok eigi ofvaran; et non sur-prudence;
ver þú við öl varastr sois tu avec la bière le plus prudent
ok við annars konu et avec d’un autre la femme
ok við þat it þriðja et avec cela en troisième
at þjófar né leiki. aux voleurs non qu’ils dupent.
Traduction
de Bellows
131. […]
Je te prie d’essayer d’être prudent,
| mais non craintif;
(Méfie-toi surtout de la bière ou de
la femme d’un autre,
Et en troisième méfie-toi | de
crainte qu’un voleur soit plus malin que toi. )
Commentaire sur le sens de la
strophe
L’extrême banalité (y compris la répétition de 115) de la version
prosaïque parle d’elle-même. La version magique met en garde le sorcier contre
trois dangers qu’il ne faut pas craindre maladivement. Il est tout à fait
possible de consommer de la bière en excès pour prophétiser, mais ceci ne doit
pas devenir une habitude. Pratiquer l’adultère n’est pas un bien grand ‘péché’
mais il faut être prudent quant au choix de ses partenaires. Enfin, un sorcier
est entouré de ‘collègues’ ou même de simples jaloux qui jettent un œil
intéressé sur ses pouvoirs. Il ne faut pas être obsédé par ce problème en
construisant des défenses spirituelles exagérément puissantes. En effet, le
sorcier ne doit être non plus coupé de ses relations sociales, surtout s’il
s’agit d’un sorcier guérisseur qui doit « s’ouvrir » à ses patients
s’il veut pénétrer les causes de leur mal.
Commentaires d’Evans
131
6 eigi
ofvaran: ‘pas trop circonspect’ car alors, Finnur Jónsson explique que
vous pouvez vous conduire en lâche …
***Hávamál 132***
Explication
Moquerie ni rire
jamais tu ne
pratiqueras
sur
ton hôte ni un passant.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
132.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
at háði né hlátri ‘à’ moquerie ni rire
hafðu aldregi aies-tu jamais
gest né ganganda. un invité ni un marcheur.
Traduction
de Bellows
132. […]
Mépris ni moquerie | jamais ne
pratiqueras
D’un invité ou d’un passant.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Il est très dangereux de se moquer et de rire de son invité et, surtout,
d’un inconnu de passage.
En effet, l’invité te connait et pourra se venger, l’inconnu, tu n’en
connais pas les pouvoirs, et n’oublie jamais que cet inconnu peut toujours être
moi, Óðinn.
Commentaires d’Evans
132
7 gangandi ‘vagabond’.
Une phrase présentant ma même allitération existe ailleurs: ala gest ok
ganganda með góðan hug til guðs þakka dans une homélie norvégienne …
***Hávamál 133***
Explication
en vers
Souvent, ils ne
comprennent pas bien,
ceux qui sont déjà
assis en la demeure,
(comment)
reconnaître les âme-sœurs;
nul humain n’est si
bon
qu’il ne soit dirigé
par quelque défaut,
ni si mauvais, qu’il
n’apporte aucune aide.
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
133.
Oft vitu ógörla
souvent ils savent non-clairement
þeir er sitja inni fyrir
ceux qui asseoir dedans ‘devant’
hvers þeir ro (=eru) kyns, er koma; de quelle à eux sont la
famille/merveille, qui
viennent;
er-at maðr svá góðr
est-non un humain si
bon
at galli né fylgi,
que défaut non il suive,
né svá illr, at einugi dugi.
ni si mauvais, que
pour aucune chose il aide.
Traduction
de Bellows
133.
Souvent il connait à peine | celui
qui est assis en la maison
Quelle sorte d’homme arrive;
Personne n’est si bon qu’on trouve |
qu’il ne présnte pas de défaut,
Ni si mauvais qu’il ne soit bon en
rien.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le nom neutre kyn fait kyns au génitif singulier et a deux sens
très différents. Le plus probable ici est ‘famille’. L’expression « être
de la même famille » peut avoir un sens ‘génétique’ mais je crois que le
sens à comprendre ici est le sens figuré, c’est-à-dire : se trouver au
milieu d’« âmes-sœurs ». L’autre sens est ‘merveille’ (éventuellement
inquiétante) qui est utilisé par exemple dans le mot composé kynjamenn qui désigne tous les êtres
merveilleux, les fées, les elfes etc.
L’adjectif, ici substantivé, einugi
est le datif de engi (= un-non),
‘rien’
Commentaire sur le sens de la
strophe
Encore une fois, l’extrême banalité de cette strophe conduit le lecteur
à se demander quelle information Óðinn a bien voulu y mettre.
Il ne me semble pas raisonnablement possible de choisir le sens
‘merveille’ pour kyn mais, pour bien
ressentir le sens de cette strophe, il est bon de garder ce sens comme une
‘musique d’ambiance’ à la compréhension.
Voici donc un groupe de personnes déjà installées en la demeure et
elles ne savent pas bien si les nouveaux arrivants sont de la famille. Cette
remarque soit est ironique, soit touche à l’imbécilité en ce sens que chacun
sait que la préoccupation principale d’un groupe déjà formé est de juger la
nature des nouveaux arrivants. Les trois derniers vers non seulement ne
brillent pas par leur originalité mais en plus semblent déconnectés des trois
premiers.
La solution à ces dilemmes se trouve dans le choix du sens ‘âme-sœur’
plutôt que simplement ‘famille’. Tout le monde n’est pas capable de reconnaître
son âme-sœur et encore moins celle des autres et il y a là une forme de magie
que j’ai déjà évoquée en étudiant 124 par une allusion à la célèbre amitié de
Montaigne et de La Béotie. Ce genre de relation s’établit sans qu’on sache trop
précisément pourquoi. C’est pourquoi « ceux qui sont déjà en la
demeure », c’est-à-dire les anciens amis, ne sont pas capables de
reconnaître dans un nouvel arrivant celui qui deviendra une âme-sœur.
La deuxième moitié de la strophe explique que, de toute façon, pour
accepter une âme-sœur, si belle soit elle, il nécessaire de faire preuve de
générosité c’est-à-dire de chercher dans les autres ce qu’ils ont de meilleur.
En somme, cette deuxième moitié dit que chacun contient une partie du meilleur
et une partie du pire et vous conseille de reconnaître votre pire et le
meilleur de l’autre afin de fonder une relation durable.
La magie de la vie est tellement forte dans cette strophe qu’il me
suffit de rappeler que les relations entre amis magiciens suivent la même loi
que pour tout le monde.
***Hávamál 134***
Explication
en vers
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Ne te moque
jamais de la chevelure (blanche ou absente) du sage conteur, souvent ce qui
dit le vieux est bon; souvent le mot
clair sort d’une peau sèche et ridée de celui dont
la peau pendouille et qui se tient
à l’écart parmi les parchemins et qui oscille
avec les enfants de la misère (les pendus). |
Ne te moque
jamais de la chevelure (blanche ou absente) du sage conteur, souvent ce que
dit le Vieux (Óðinn ) est bon; souvent le
juste mot de magie sort d’une peau sèche et ridée, de celui dont
la peau est flétrie et qui se
retire parmi les livres [ ou qui pend avec la lune (? )] et qui se
balance à côté des pendus (qui lui
apportent la connaissance). |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
134.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
at hárum þul
aux cheveux, le conteur
hlæ þú aldregi,
ris
tu jamais,
oft er gótt þat er gamlir kveða; souvent est bon ce que le vieux dit;
oft ór skörpum belg
souvent hors d’une desséchée (parcheminée) peau
skilin orð koma
clair mot vient
þeim er hangir með hám à celui qui pend ‘avec’ la peau
ok skollir með skrám et se tient à l’écart avec les parchemins
ok váfir með vílmögum. et oscille avec les
misère-enfants.
Traduction
de Bellows
134 […]
Ne méprise jamais | le chanteur aux
cheveux gris,
Souvent, en vérité, le vieillard
parle bien;
(Souvent de peau flétrie | viennent
des conseils habiles,
Bien qu’il pende avec les cuirs,
Et claque avec les fourrures
Et soit soufflé au ventre [ ? ])
Commentaire
sur le vocabulaire
hamr :
de Vries ‘hülle, gestalt’ (enveloppe,
forme), C-V ‘peau d’un oiseau, forme, métaphoriquement : tempérament’
ferait ham à l’accusatif singulier.
Vous voyez dans le commentaire d’Evans que les experts se sont mis d’accord
pour y voir l’occurrence unique en Vieux Norrois du datif pluriel de há, la peau, et les éditeurs modernes lisent hám.
Notez cependant que Rask, dès 1818, donne hám comme eux.
Le nom
féminin skrá signifie un manuscript, un document, il fait skrám
au datif pluriel. Le nom masculin skrámr est signalé par de Vries et
Lex. Poet. comme signifiant le nom d’un géant et une façon de parler de la
lune. Il fait, lui aussi, skrám à l’accusatif singulier.
Le verbe skolla
signifie ‘pendre, balancer’ tout comme hanga. Cependant, il a aussi un
sens figuré ‘se tenir à l’écart, rôder’, ce qui évite une répétition. Les
autres traducteurs donnent, pour ce verbe, Bellows : ‘claquer’,
Boyer : ‘pendiller’, Dronke : ‘vacillate (vaciller)’,
Orchard : ‘dangle (balancer)’.
La
préposition með peut signifier ‘avec’ qu’il soit suivi de l’accusatif ou
du datif.
Le mot vílmögr (ici au datif
pluriel) se lit víl-mögr =
misère-fils.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Vous constatez que cette strophe, comme nous le verrons encore dans la
strophe suivante, peut signifier qu’Óðinn recommande une forme de respect pour
les faibles, ici les vieillards défraîchis.
Dans le monde ancien germanique la magie joue toujours un rôle
important même pour ceux qui vivent une vie normale. Dans le Loddfáfnismál, Óðinn
débute son enseignement de la magie runique et il décrit le comportement
demandé à ceux pour qui la magie est la chose la plus importante au monde, ceux
qui entreprennent d’étudier les runes. C’est seulement auprès des magiciens
âgés, ceux qui ont survécu à toutes les bêtises qu’un jeune magicien trop sûr
de lui peut commettre, que la sagesse nécessaire à l’usage de la magie peut
s’acquérir. Il ne s’agit donc pas ici de respecter la faiblesse des vieillards
mais de les honorer en tant que maîtres dans leur art.
Rappelons-nous qu’Óðinn affirme dans la strophe 157 : « ef ek sé á tré uppi váfa ná … mælir við mik (si je vois en haut d’un arbre osciller un cadavre … il parle avec moi) ». Il
est donc clair que les « enfants de la misère » sont les pendus auprès
de qui le magicien vient chercher la connaissance. Nous reviendrons sur ce
sujet en étudiant 157.
Commentaires d’Evans
134
8 Pour skarpr
dans le sens ‘rétréci, défraîchi’ cf. son application à fiskr,
skreid, skinnsrakkr, et notez les mots associés skorpa
‘flétrir’, skorpin ‘flétri’. Pour la signification de belgr
‘personne’ (ou peut-être ‘bouche’ …) cf. Hamðismál 26: opt ór þeim belg böll ráð kom, et notez le proverbe dans la saga de
Gull-Þóris, chap. 18 … hafa skal góð ráð. þó at ór
refs belg komi.
10-12 þeim er renvoie
évidemment à belg, mais la signification de ces trois dernières
lignes est très obscure. Le dernier mot dans 10 est sûrement hám, le
datif pl. de há ‘peau’'(non trouvé ailleurs en Vieux Norrois,
mais connu en islandais moderne) plutôt que le datif sg. de hamr (comme
certains rédacteurs du dix-neuvième siècle l’ont pensé), qui signifie ‘forme
temporairement adoptée’. Le mot final dans la strophe semble être vílmögum,
le datif pl. de vílmögr ‘misérable’
(littéralement ‘fils de
la misère’) ce qui
fait partie de la liste des noms pour lâches et des misérables dans Snorra Edda… et aussi se
rencontrent deux fois ailleurs en poésie. Finnur Jónsson pense que ces lignes
décrivent le ‘sac défraîchi’ (c. -à-d. le vieil homme) errant entre d'autres
vieux, représentés comme des ‘peaux’ (hám et skrám) et
des misérables’. Mais les trois verbes tous signifient ‘balancer, osciller d’avant en
arrière’ et ne peuvent pas donner le sens exigé. Puisque les trois verbes sont
plus ou moins synonymes, et que hám et skrám sont
également des presque synonymes, certains rédacteurs ont naturellement essayé
de rendre vílmögum comme synonyme des autres substantifs …en hámum, le datif pl. d'un supposé hám ‘misérable’
(cf. en dialecte suédois, hám ‘misérable, clown’) et en prenant skrám
pour être issu d’un supposé skrái apparenté au dialecte
suédois skrde ‘personne misérable’ … suggère que le þulr soit
un magicien suspendu à un arbre, comme un chaman ou comme Óðinn dans 138, pour
acquérir la connaissance mystique : les ‘peaux’ sont les corps des hommes
et des animaux sacrifiés. (Ceci est compatible avec l'une ou l'autre
interprétation du dernier mot). C'est la seule interprétation qui fasse sens,
mais elle est indéniablement fortement spéculative. [I a réalisé ceci en
modifiant hám ci, comme souvent, Evans
donne des opinions honnêtes mais il est ‘obligé’ de se montrer soupçonneux à
l’égard de toute signification montrant si peu que ce soit de mysticisme païen.
En fait, beaucoup d'interprétations admises ne sont pas moins ‘spéculatives’
que la mienne. Leur seul mérite est d’être compatibles avec les définitions
actuelles du bon sens.
]
***Hávamál 135***
Explication
en vers
Compréhension superficielle
|
Compréhension cachée |
Tes invités, tu
ne dois pas les mépriser (‘aboyer’) ni les vexer en
les accueillant à ton portail, tu recevras
bien les misérables. |
(Chacun de tes
invités peut connaître une forme de magie), ne sous-estime
pas les connaissances magiques de tes invités ainsi tu ne les
vexeras pas en les accueillant à ton portail, ceux qui sont
démunis de richesses matérielles, ils sont souvent riches en spiritualité. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
135.
Ráðumk‘misérable þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
gest þú né geyja hôte (l’invité) tu non aboyer/mépriser
né á grind hrekir, ni au portail il vexe
get þú váluðum vel. reçois tu les misérables bien.
Traduction
de Bellows
135. […]
Ne maudit pas ton invité, | ne lui
montre pas la porte non plus,
Traite bien qui est dans le besoin.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le verbe geta, obtenir, prend
le sens de ‘recevoir, accueillir’ quand son complément d’objet est au datif, ce
qui est le cas ici.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Il peut sembler que la compréhension profonde ne soit guère différente
de la compréhension prosaïque. La seule différence entre les deux se trouve
dans l’intention de l’hôte. Dans la compréhension prosaïque, le lecteur croit
qu’Óðinn recommande une sorte de compassion christique vis-à-vis de chacun y
compris les ‘misérables’. Ceci est évidemment ridicule dans la bouche d’ Óðinn.
Dans la compréhension profonde Óðinn se contente de recommander la plus grande
méfiance vis-à-vis de ses visiteurs dont chacun peut être porteur de magie.
Le contexte est le même que dans 132, 133 et 134, l’hôte est un
étudiant en magie et l’invité (ou ‘l’autre’) peut être un puissant sorcier.
Le conseil qu’il donne est clair : « Le fait que vous soyez
connu pour étudier les runes va vous amener à rencontrer des personnages
singuliers et soyez donc toujours très prudents avec vos visiteurs.
Respectez-les. »
***Hávamál 136***
Explication
Compréhension banale |
Compréhension magique |
Il est puissant
le madrier qu’il faut
déplacer pour lever le
verrou à chacun. Offre (lui) une
bague ou bien quel
fléau cet esprit va-t-il solliciter pour toi aux
jointures ? |
Il te faut une
grande puissance pour que tu
puisses sans danger soulever le
madrier qui clôt ta porte à chacun. (Seul un grand
sorcier peut baisser ses défenses face à toute personne) Tu dois avoir
une chose précieuse à offrir sinon il sera
capable de bloquer ta magie (et de se
l’approprier). |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
136.
Rammt er þat tré, Puissant est le madrier
er ríða skal
qui déplacer faut
öllum at upploki. à tous ouvrir.
Baug þú gef, Bague tu donnes,
eða þat biðja mun ou bien ce que solliciter l’esprit
þér læs hvers á liðu. pour
toi de fléau quel aux jointures.
Traduction
de Bellows
136. Fort est le madrier | qui doit
être levé be
Pour laisser entrer tout le monde;
Donne leur une bague, | ou sévère
sera
Le soughait qu’il produira sur toi.
[Commentaire
de Bellows 136. Cette strophe
suggère les dangers de trop d’hospitalité…]
Commentaire
sur le vocabulaire
- biðja, pour C-V. , ne signifie que ‘mendier’ ou ‘prier (le Dieu chrétien)’.
Le Lex. Poet. donne ‘petere (chercher
à atteindre, à obtenir), rogare
(interroger, solliciter)’. Il est suivi du génitif pour la chose sollicitée et
du datif pour la personne pour qui ou que l’on sollicite. Ici, donc la chose
solicitée est læs hvers (le fléau).
Le mot neutre læ fait læs
au génitif singulier. Il signifie ‘fraude, ruse, habileté, fléau’. Seul le sens
‘habileté’ n’est pas entièrement péjoratif, mais on comprend bien qu’il s’agit
d’une sorte d’habileté rusée.
Commentaire sur le sens de la
strophe
Dans leurs compréhensions banales, 132 et 135 semble recommander la
plus grande hospitalité et 136, au contraire semble dire de se méfier. Mes
commentaires de 132 et 135 insistent sur le fait que, s’il faut être
hospitalier, c’est par méfiance ou crainte du mal que le passant inconnu peut
vous faire, il n’est pas question d’hospitalité aveugle. Dans ces conditions,
136 est là pour expliquer le pourquoi du danger de l’hospitalité aveugle. Seul
un très grand magicien peut se permettre d’accueillir sans mal n’importe qui.
Sinon, une personne normale doit se concilier les bonnes grâces de ses visiteur
et s’il les craint vraiment, il vaut mieux qu’il leur fasse des cadeaux qui les
lieront à lui et leur interdiront d’utiliser leur magie contre lui.
Commentaires d’Evans
136
1 tré se rapporte sûrement à rien d’autre qu’au
madrier (loka, slagbrandr) soulevé pour admettre un invité: tu as
besoin d'un madrier puissant sur une porte… qui est censée admettre tout le
monde. Ceci ressemble à un conseil contre l'excès de générosité, mais on ne
peut aucun nier que ceci occasionne des difficultés en contredisant la tendance
générale de l'étiquette norroise et l’environnement immédiat, c. à d. les vers
1-3, 4-6 ne peut
pas être interprété de façon satisfaisante comme signifiant autre chose que
‘donner un anneau’, c. -à-d. un cadeau (à toute personne qui arrive). [Il est bien évident que donner un anneau à chaque
passant épuiserait rapidement votre stock d’anneaux. Il s’agit seulement des
rares sorciers qui peuvent vous visiter. ]
Mais les
tentatives de trouver des interprétations alternatives sont uniformément peu
convaincantes...
5 þat ne peut guère signifier ‘un manque de donner’ …; il signifie plus probablement
‘personnes, visiteurs’ cf.
rekkar þat þόttusk s. 49.
***Hávamál 137***
Explication
en vers
Compréhension banale du
sens des mots |
Compréhension magique du
sens des mots |
Où que tu
boives de la bière, (surtout si
elle est brassée à l’ivraie, c. à d. empoisonnée à l’ergot) choisis l’aide
de la puissance de la terre (car la terre
absorbe les poisons), mais le feu
absorbe les maladies physiques ou psychologiques le chêne absorbe
la violente colique l’épi de blé
absorbe l’effet (délétère) de la magie, le sureau
absorbe la querelle familiale, - les guerres à mort devront
en appeler aux forces lunaires (des astres ? ) – l’alun absorbe
les morsures qui ne guérissent pas, les runes
absorbent la malédiction, le champ
absorbera le flot (de sang ? ). |
Où que tu
boives de la bière, (pour ingérer
la boisson divine qui apporte la connaissance) choisis l’aide
de la puissance de la terre (car t’ancrer à
la terre absorbe ton ivresse), mais le feu
absorbe les maladies de l’âme, le chêne
absorbe l’excès de capacité à augurer l’épi de blé
absorbe l’effet (délétère) de la magie, le sureau
absorbe la perte de contact avec les forces de la terre - la guerre à mort devra en
appeler aux forces des astres – l’usage de vers
absorbe les morsures qui ne guérissent pas, les runes
absorbent la malédiction, les décoctions
d’herbes champêtres arrêteront le flot du sang. |
Texte et
traduction mot à mot en pseudo-français :
137.
Ráðumk þér, Loddfáfnir, […]
en þú ráð nemir, -
njóta mundu, ef þú nemr,
þér munu góð, ef þú getr -:
hvars þú öl drekkir,
Où que (tu) sois tu bière bois
kjós þér jarðar megin, choisis pour toi de la terre
la puissance
því at jörð tekr við ölðri, car vers la terre ‘prend avec’
(= reçoit/absorbe) la
beuverie
en eldr við sóttum, mais le feu avec (=absorbe) les maladies
eik við abbindi,
le chêne avec (absorbe) tenesmus,
(la violente colique)
ax við fjölkynngi,
l’épi de blé ‘avec’ beaucoup-connaissance (magie),
höll við hýrógi,
le sureau ‘avec’
la querelle entre époux,
- heiftum skal mána kveðja, - - les guerres à mort devra ‘le’
lune en appeler -
beiti við bitsóttum, l’alun (ou : des vers) ‘avec’ les
morsures-maladies
en við bölvi rúnar, mais ‘avec’ la malédiction les runes,
fold skal við flóði taka. le champ devra avec le flot
prendre.
Traduction
de Bellows
137. […]
Quand tu bois de la bière | cherche
la puissance de la terre,
Car la terre guérit de la boisson |
et le feu guérit les maux,
Le chêne guérit la raideur, |
l’oreille guérit la magie,
L’orge guérit la ‘rupture’ (la
hernie ? ), | la lune guérit la rage,
L’herbe guérit la croûte, | et les
runes la blessure par épée; )
Le champ absorbe l’inondation.
Commentaire
sur le vocabulaire
Le verbe kjósa signifie
‘choisir, élire’. La forme réflexive kjósask
at signifie ‘tirer au sort’ si bien que la notion de choix associée à kjósa n’est pas automatiquement celle
d’un choix superficiel. De Vries ajout à ces sens : « désirer,
arranger, ensorceler (zaubern) Le
sens propre du dernier mot est « choisir un objet pour la magie (einen Gegenstand zur zauberei whälen) ».
Le verbe taka signifie
‘prendre’ un peu dans tous les sens du mot. Taka
í jörð signifie ‘brouter’ pour un animal. Mais taka við prend le sens de ‘réserver, accepter’ (C-V taka, IV, - taka með).
C-V- traduit pudiquement abbindi
par tenesmus, mais le Gaffiot nous
sauve en traduisant par « ténesme, envie douloureuse d’aller à la
selle ». De Vries : ‘stuhlzwang,
dysenterie’ et Lex. Poet. ‘tenesmos’
plus le même mot en Grec L’usage médical actuel du mot ‘ténesme’ est un peu
plus complexe qu’une simple diarrhée et se rapproche plutôt de la traduction de
Dronke. Entre les traductions opposées d’Orchard, Waggoner[1]
Boyer, ‘constipation’ et celle de de Vries, ‘dysenterie’, nous rencontrons ici,
pour l’une des deux traductions, un contresens scatologique inattendu.
Dronke : « cures bowels »
et Bellows « tightness »
évitent astucieusement ce dilemme.
Son sens étymologique, donné par le Lex. Poet. : ‘af-bindi’ procure deux significations intéressantes. Le préfixe af- est généralement utilisé comme un
intensifieur du mot qu’il précède. Le verbe benda
peut signifier ‘faire un signe’ et, métaphoriquement, ‘augurer’. Un autre type
de sens est celui de ‘courber’ et, métaphoriquement, ‘donner, abandonner’. Le
mot abbindi, dans cas, signifierait
‘excès de capacité à augurer’ ou ‘excès d’abandon’. Ce dernier sens fournit un
rendu poétique de la diarrhée et le premier nous ramène à la magie.
Le nom ax est traduit
systématiquement par les anglophones ‘ear of corn’ (en général, voir les images
obtenues en cherchant ‘ear of corn’ sur google) : épi de maïs. Ce mot a dû
signifier ‘épi de blé’ avant l’apparition du maïs. De Vries : ‘ähre’ (épi), Lex. Poet. : ‘spica’ (épine, épi). Dans le Hávamál, il
s’agit évidemment d’un épi de blé.
Le nom höll signifie ‘un
hall’ mais on ne comprend pas ce que ce hall peut magiquement faire aux
querelles maritales. Le Lex. Poet. , de même, donne « domus, ædes, tectum, aula (maison, temple, toit, cour) ». Par
contre, de Vries ajoute le deuxième sens de ‘holunder’ (sureau), le sens utilisé par Orchard ‘elder’ (sureau).
Le mot hýrógi est traduit par
C-V : « bearded rye ?
(seigle barbu ? ) », par de Vries : « feinschaft zwischen hausgenossen (inimitié entre personnes vivant
ensemble) », Lex. Poet. : (hýróg)
par « dissidia famulitii
(divisions de serviteur) » avec l’étymologie hjú róg où hjú = ‘époux,
maisonnée, serviteurs’ et róg =
querelle.
Le nom máni, lune, est
masculin en Vieux Norrois, comme en Allemand moderne. Notez que l’usage du
heiti en poésie est si courant que nous pouvons lire comme ‘lune, soleil et
tout objet céleste’.
Le mot beit signifie ‘un
champ herbeux’ mais de Vries signale, pour beiti,
‘grasgang, köder’ (étendue d’herbe,
tissu vergé) et l’usage plus ancien de ‘alun’, avec la possibilité de signifier
aussi ‘regenwurm’ (lombric). Il
serait conseillé ici pour apaiser les morsures graves, voir ci-dessous la
longue discussion d’Evans. J’ai préféré ‘alun’, pour le sens prosaïque, car le
lombric n’est pas utilisé contre les plaies infectées et l’alun l’a souvent
été. Par contre, l’usage d’asticots, en médecine ancienne des plaies qui ne
cicatrisent pas, perdure jusqu’à nos jours. Ce n’est donc pas une hypothèse à
éliminer. L’usage d’asticots paraît tenir de la magie et c’est pourquoi je l’ai
conservé dans l’interprétation magique.
Parenthèse
sur le sureau
Il n’est pas déraisonnable de se demander ce que le sureau peut avoir à
faire avec les querelles domestiques. On peut cependant relier le sureau à des
divinités lituaniennes appelées les
kaukai (un kaukas). Elles sont
des entités chtoniennes qui vivent dans les racines du sureau, surtout quand il
pousse en groupe dans la forêt. Ils se manifestent de façon très discrète mais
si la maîtresse de maison sait lire ces signes, elle pourra passer contrat avec
eux moyennant un habit (les kaukai
sont nus avant de s’attacher à une maison) et de la nourriture régulièrement
fournie. En échange, les kaukai
apportent quelque chose que Greimas se refuse à traduire, la skalsa. D’après ses explications, on
comprend que la skalsa est un
avantage apporté à la maisonnée entière. Du point de vue matériel, il ne s’agit
pas directement de richesse matérielle, mais d’une sorte de multiplication des
richesses. Quand le kaukas
« apporte un brin d’herbe, cela équivaut à une charretée entière ».
Mais ceci n’est pas le plus significatif. « Tout comme la terre elle-même,
infatigable et inépuisable, de laquelle il est sorti, le kaukas est la manifestation de la constance de la force dynamique
de la terre. »
Vous voyez que le kaukas est
presque explicitement un représentant des forces chtoniques, celles auxquelles
on s’adresse pendant les voyages chamaniques des apprentis. Il loge dans les
racines du sureau et envoie des signes très discrets à ceux qui pourront tenter
de l’apprivoiser. J’ai sauté les détails relatifs au contrat entre le kaukas et la maîtresse de maison, mais
ils sont excessivement précis et le moindre manquement au contrat apporte le
désastre sur la maisonnée, rejetée qu’elle devient par la jarðar megin, la puissance de la terre. Par ceci, je relie le vers
6 et le vers 11 de la s. 137.
Quant au lien avec les querelles familiales, remarquons d’abord que ni
l’orthographe ni le sens de hýrógi ne
sont absolument certains. Il suffit d’une légère variation de sens en direction
de « malaise dans la maisonnée » plutôt qu’une « querelle »
pour que le rôle du kaukas devienne évident. Inversement, si on tient à
« querelle », il n’est pas du tout impossible que le mythe lituanien
des kaukai se soit légèrement modifié
en franchissant la mer Baltique, voie de passage plutôt que barrière entre la
Lituanie et la Scandinavie.
Référence.
Les idées et les citations de ce paragraphe sont tirées de : Algirdas J. Greimas, Of Gods and
Men, Studies in Lithuanian mythology, Indiana Univ. Press, 1992, Chap. 1 : Kaukai.
Commentaire sur le sens de la strophe
Ces vers
contiennent une série de traitement contre diverses maladies. La traduction
banale va évidemment faire allusion à des maladies physiques (ou bien n’avoir
aucun sens) alors que la traduction magique va faire allusion aux divers maux
qui peuvent frapper l’apprenti en magie runique. Pour plus d’explications sur
le sens banal de ces vers, et quelques fois pour des références sur leur usage
magique, voyez ci-dessous les commentaires d’Evans associés à chaque vers de la
strophe.
Vers 5-7
Sens
banal : « Où que tu
boives de la bière, (surtout si elle est brassée à l’ivraie, c. à d.
empoisonnée à l’ergot), choisis l’aide de la puissance de la terre car la terre
absorbe les poisons (ou même : les vomissures - j’en suis atterré, c’est le cas de le dire) ».
Le nom même
de l’ivraie indique qu’on s’enivrait en buvant la bière brassée avec de l’orge
polluée par cette céréale. Comment la « puissance de la terre » pouvait-elle
soigner les empoisonnements à l’ergot, nous n’en savons rien. Ingérer de
l’argile pour absorber les poisons est encore un remède « de bonne femme » bien
connu et utilisé dans les cercles végétariens. Voir aussi les commentaires
d’Evans.
Sens
magique : « Où que
tu boives de la bière, (pour ingérer la boisson divine qui apporte la
connaissance) choisis l’aide de la puissance de la terre car la terre absorbe
ton ivresse ».
Boire de
grandes quantités d’alcool est déjà un poison suffisant pour qu’il nécessite
remède. Le magicien composant un galdr peut chosir la ‘voie de l’alcool’ et à
la fois ingérer une assez grande quantité de bière pour exciter sa créativité
et rester assez lucide pour composer un galdr cohérent. Nous ne pouvons pas
savoir exactement ce qu’était cette jarðar megin (puissance de la terre)
mais je ne crois pas que cela ait été une potion. Il s’agit plutôt d’un état
d’esprit que l’on acquiert par la pratique assidue du « voyage hors du corps »
tel qu’Óðinn pouvait le pratiquer quand il utilisait ses corbeaux pour recevoir
des informations lointaines.
Vers 8
Sens
banal : « mais le
feu absorbe les maladies physiques ou psychologiques »
Le feu ou
le foyer, sans référence à aucune action magique, tout simplement par la
chaleur qu’ils vous apportent, vous protègent contre un très grand nombre de
maladies.
Sens
magique : « mais le
feu absorbe les maladies de l’âme »
Je crois
que nous rencontrons là une sorte d’opposition entre l’usage de la puissance de
la terre et celle du feu. La puissance de la terre est à utiliser contre les
intentions agressives d’humains. Celle du feu s’utilise contre les dangers de
la nature. Encore une (dernière) fois, la strophe ne donne rien de précis sur
l’usage de ces deux puissances, mais ces vers nous disent que les forces
chtoniques protègent de la malveillance humaine et que la force des flammes
protège des dangers naturels. L’ironie facile de ceux qui vont dire qu’elle ne
protège pas des incendies est facilement réfutée pas la notion de contre-feu,
les flammes qui s’opposent aux flammes.
Vers 9
Sens
banal : « le chêne
absorbe la violente colique »
Voyez
ci-dessous les références d’Evans à l’usage de l’écorce de chêne contre les
coliques.
Sens
magique : « le
chêne absorbe l’excès de capacité à augurer »
L’usage
banal n’empêche pas un autre usage destiné aux magiciens débutants. Il arrive
souvent, au moins dans les civilisations qui acceptent encore la magie, que la
transe oraculaire prenne un tour extrêmement violent, dangereux pour la santé
du jeune magicien. Il est possible qu’une tisane d’écorce de chêne puisse
calmer ces crises, mais je crois qu’il s’agit, ici aussi, d’une magie associée
au pouvoir de l’arbre en général. Que de telles crises puissent exister pour
des personnes par ailleurs saines d’esprit, est bien décrit par Charachidzé
quand il parle des kadag géorgiens attestés jusqu’au milieu du 20ème
siècle.
Voyez : Georges Charachidzé, Le système religieux de la Géorgie
païenne - Analyse structurale d’une civilisation, Maspéro, 1968
Vers 10
Sens
banal et sens
magique : « l’épi de blé absorbe l’effet (délétère) de la magie »
Comme dans
le autres cas, la compréhension magique fait appel à la magie de l’épi de blé,
c’est-à-dire à ses aspects liés à la richesse de la terre et d’abondance. Par
exemple, la rune Jeran peut très bien être étroitement associée à l’épi de blé.
Vers 11
Sens
banal : « le sureau
absorbe la querelle familiale »
Bien
évidemment, on ne voit en quoi le sureau peut jouer ce rôle, sauf à penser à
son rôle magique.
Sens
magique : « le
sureau lie la maisonnée à la puissance de la terre »
Cette
traduction est inspirée par l’existence des kaukai lithuaniens que j’ai
décrits plus haut. Une maisonnée où règne l’abondance a moins de sujets de
querelles qu’une où règne la famine, d’où le sens banal.
Vers 12
Sens
banal et sens
magique : « la guerre à mort devra en appeler aux forces lunaires »
Voilà
encore une indication, hélas imprécise, du type de magie à utiliser dans les
luttes où la vie des guerriers (compréhension banale) et des magiciens
(compréhension magique) est mise en jeu. Dans ce cas, utiliser la puissance des
astres célestes.
Notez aussi
que le lien entre le sureau et la lune n’est pas vraiment perceptible, alors
que l’opposition entre ‘querelles familiales / terre’ et ‘guerres meurtrières /
astres’ est évidente et relie 11 et 12.
Vers 13
Sens
banal : « l’alun
absorbe les morsures qui ne guérissent pas »
Voyez Evans
ci-dessous pour l’usage de l’alun en médecine des blessures. D’ailleurs, je me
souviens du temps où les hommes se rasaient à la main avec un grand rasoir et
traitaient leurs coupures à l’alun. Actuellement, l’alun sert encore de
‘déodorant’ quoiqu’il soit seulement un anti transpirant.
Sens
magique : « l’usage
de vers absorbe les morsures qui ne guérissent pas »
Cet usage
(en utilisant des asticots soigneusement désinfectés) semble revenir à la mode
du fait de son efficacité extraordinaire et malgré son aspect repoussant. Il
s’agit d’une médication extrêmement ancienne que les sorciers germaniques
connaissaient probablement. Malgré son caractère rationnel, je classe ce
traitement dans les traitements magiques car il semble magique que des
asticots, considérés comme signe de malpropreté, puissent opérer des guérisons
dans des cas désespérés. La ‘presque vraie’ magie devait consister dans
l’habilité du magicien à recueillir des asticots propres.
Vers 14
Sens
banal et sens
magique : « les runes absorbent la malédiction »
Dans ce
cas, c’est le sens banal qui est incompréhensible.
Vers 15
Sens
banal : « le champ
absorbera le flot (de sang ? ). »
Sens
magique : « les
décoctions d’herbes champêtres arrêteront le flot du sang »
Les deux
sens sont très proches et leur différence est semblable à celle relative au
vers 13. L’art du magicien tenait surtout dans sa capacité à recueillir les
bonnes herbes et (pour enfoncer le clou une dernière fois) à leur capacité à
ajouter à l’effet des bonnes herbes celui de leurs incantations, peut-être
moins inutiles qu’on l’affirme aujourd’hui.
Commentaires d’Evans
137
…
5 öl – ceci ne fait probablement pas référence à un simple
excès de boisson mais à de la bière empoisonnée à l’ivraie, lolium temulentum, Vieux
Norrois skjaðak [Les études récentes prouvent que l'ivraie n'est pas
toxique si elle n’est pas infectée par un champignon, l'ergot du seigle
(Claviceps purpurea). Cette infection étant très fréquente, l’ivraie a été
considérée comme herbe mauvaise … certainement très souvent employée par les
sorciers. …
6 jarðar megin est aussi nommé comme un des ingrédients
dans la potion droguée par Grímhildr, … Codex Regius présente en fait Urðar
magni [datif] mais ceci est sans aucun doute une corruption de jarðar magni, [Cette émendation
est relative à Guðrúnarkviða in forna. Elle est acceptée par les experts et les
versions modernes ne donnent pas urðar magni. Je ne vois pas pourquoi
une magie liée à la puissance du destin n’aurait pas été possible, elle aussi. ] qui apparait dans la paraphrase des vers dans la Völsunga saga … as jarðar
megni, dans ce qui semble être un emprunt du poème dans Hyndluljóð 38 et 43. Il peut aussi exister une
connexion avec ce qu’on appelle terra
sigillata, des gâteaux de terre riche en oxydes de fer,
marqués de l’image de Diane ou du Christ, exportés de Lemnos et recommandés
(par ex. par Pline et Galien) comme un remède aux poisons. Ceci est rapporté
dans le ‘Old Icelandic Medical Miscellany’ … Finnur Jónsson … pense qu’il
s’agit de l’absorption d’un excès d’alcool suivi d’un vomissement sur la terre
…
8 eldr - Cederschiöld suggère que ceci se
rapporte au ‘need-fire’ [flamme obtenue en
frottant une corde sur un morceau de bois et qui était utilisée en Écosse pour
soigner les moutons malades. ], porté de ferme en ferme en période de la peste, d'une pratique
répandue dans les temps modernes en Scandinavie, en l'Allemagne et en Ecosse
gaélique. … pense que la référence est plus complète et inclut une allusion à
l'utilisation d’un fer rouge pour la cautérisation des blessures sales etc.
mais, comme Finnur Jónsson précise, eldr peut difficilement
signifier le fer porté au rouge [Cette objection est
vraiment superficielle : un fer rouge est évidemment un genre de feu. Le mot eldr sert à évoquer
tout genre de chaleur, sans indiquer un genre particulier de feu. Par exemple, ce peut être aussi une allusion aux sources d'eau chaude
dont la chaleur guérit, même si eldr ne signifie pas spécifiquement une
source chaude. ]) et également à la fumigation pour
l'expulsion des esprits mauvais.
9 abbindi se rencontre ailleurs en Vieux
Norrois seulement vers la fin du quatorzième siècle. Tak oxa gall ok ríð um endaþarms rauf, þá mun
batna við abbindi. Cependant…
l’anglo-saxon gebind dans
le sens de e mot dénote sans
aucun doute le ténesme, et il est probablement emprunté tenacitas ventris, tentigo comme dans le glossaire de Leyde.
C'est un symptôme de la dysenterie, contre lequel l'écorce et le liber [couche où circule la sève] de chêne sont un remède traditionnel bien
connu.
10 ax ‘épi de blé’. Cederschiöld pensait que cela
n’avait aucun sens et a proposé de lire öx ‘hache’
avec une référence à la coutume scandinave tardive de placer une hache
au-dessus de la porte comme protection contre la sorcellerie. Mais ceci est
inutile, et également imprudent en raison de la mention ax óskorit comme un des constituants du breuvage magique de Grímhildr dans
Guðrúnarkviða II 22 … montre qu'il y a beaucoup de preuves, à périodes
postérieures en Scandinavie (et ailleurs), de l'utilisation des épis de blé
pour écarter les trolls, la magie etc.; il cite… une coutume de Bodin, en
Norvège du nord, d'apposer huit épis de blé, disposés en croix, sur la porte de
l'étable à Noël- … des épis de blé ont été également utilisés en tant que remèdes
pour les étables, les maux de dents, et d'autres maladies souvent censées
émaner des magiciens et des trolls.
11 höll við hýrógi n'est pas expliqué de manière
satisfaisante. Le dernier mot, s’il n’est pas corrompu, peut seulement
signifier ‘querelles de ménage’. On ne peut pas dire que ‘hall’ donne ici un
sens raisonnable … bien qu'il soit pris ainsi par Sveinbjorn Egilsson, Finnur
Jónsson et d'autres (“la dispute entre les membres du ménage ne sort pas hors
de la maison, elle est de courte durée”). Le manuscrit porte havll, qui
pourrait également être lu comme haull ‘hernie’ mais ceci ne
donne aucun sens non plus. Les lettres av peuvent également être lues comme ø;
nous pourrions supposer alors que nous avons ici le mot *høIl (ou,
mieux, *høllr masculin)en suédois et en norvégien, hyld
en danois (tous à l'origine
masculins). Cet arbre n'est pas indigène en Islande, et aucun nom pour lui
n'est connu en Vieux Norrois ([ le sureau, apparenté à hyll cependant] l’un ou l’autre des noms d’arbres hallarr et yllir … peut lui être
associé; … ce dernier signifie ‘sureau’, en Islandais moderne). Ce dernier a joué un rôle primordial
en médicine populaire depuis l'antiquité classique; mais comment est-il un
remède pour des différends domestiques ? … suggère que l'idée que c'est ‘l'arbre
de la maisonnée’, résidence des esprits domestiques qui écartent disputes et
maladie de la maison…
12 heiptum – pour ce mot, et dans un
sens semblable cf. Sigrdr. 12: málrúnar skaltu kunna, ef pú vilt at manngi
þér heiptum gjaldi harm. … pense que les ‘haines’ auxquelles se réfère
sont le travail du mauvais œil, contre lequel des amulettes en forme de lune
furent employée dans l’antiquité classique. La lune en fait joue un rôle minime
dans la religion païenne Germanique, …
13 beiti est par ailleurs rencontré en
Vieux Norrois, une fois comme un heiti pour ‘navire’ (évidemment sans
rapport ici) et aussi comme une rare forme de beit ‘pâturage’. … Mais
cela ne fait pas sens, et la strophe apparait concernée par les maladies des
hommes, non des animaux. D’autres suggestions sont :
(a) ‘betterave’; le Latin beta a été emprunté très tôt dans les langages germaniques
Orientaux … a proposé qu’il eut été aussi emprunté en Vieux Norrois et apparût
ici. Pline mentionne la betterave comme remède pour les morsures de serpents.
Mais son usage est inconnu en médecine populaire nordique, et la plante
elle-même ne semble pas avoir atteint le Nord avant une date très postérieure.
(b) ‘alun’; Cederschiöld l’a rapproché des verbes
germaniques signifiant ‘tanner, appliquer un liquide chimique en tannant ou
colorant, comme le Suédois beta,
l’Allemand beizen, le dialecte
Norvégien beita etc. , son sens de
base étant ‘causer la morsure (des acides)’… puisque l’alun était utilisé à cet
usage au Moyen Âge et a été aussi employé depuis l’antiquité comme un remède
pour, parmi d’autres, les blessures …
(c) ‘appât’ ou, plus précisément, ‘ver de terre’ …;
ailleurs en Vieux Norrois ‘appât’ est beita, féminin, mais beite est connu comme un masculin en
Norvégien, and en dialecte Norvégien du sud, signifie ‘ver de terre’ plutôt que
appât en général. Les vers ont été employés depuis des temps anciens comme
remède pour diverses formes de blessures et irritations (Pline XXX 106,115). Les Traité
médicaux anglo-saxons … recommandent les vers contre les morsures de chiens ….
Cette interprétation de beiti est clairement la plus plausible.
14 við bölvi rúnar – pour l’usage thérapeutique des runes cf. les références aux bjargrúnar, brimrúnar et limrúnar
dans Sigrdr. 9-11. …
15 … prend ce vers pour un proverbe.