Extraits de M. A. Czaplicka, My Siberian Year, Mills & Boon,
Londres, 1916.
Mes commentaires sont entre [ ].
CHAPITRE
X
L’observateur occasionnel pourrait croire
que les persécutions des jours passés, ainsi que l'attitude actuelle de mépris
calculé et de ségrégation des missionnaires russes officiels, ont considérablement
affaibli l’influence des chamans (‘hommes-médecine’), et des cultes qu'ils
représentent, dans les esprits des tribus indigènes de la vallée inférieure du
Yenisei. L'affaiblissement du chamanisme est, cependant, plus apparent que réel ;
et même quand les rites chamanistes formels [Czaplicka a inventé le mot
‘shamanist’ pour désigner les croyants de la religion chamanique, et je la suis
en ceci] ont été largement abandonnés, l'esprit
de la vieille croyance exerce partout et toujours une influence étendue et
profonde sur l’esprit des chamanistes, même de ceux qui, avec force
protestations, se désignent comme chrétiens. Ceci est couramment observé parmi
les Toungouses de la toundra de Limpiisk qui sont, sur les sujets religieux,
peut-être les plus sophistiqués de tous les groupes de primitifs vivant au nord
de
Parmi les Toungouses de Limpiisk d’aujourd'hui
la fonction principale du chaman qui a survécu aux efforts des missionnaires
est celle de guérisseur. Et en plus, une grande importance est encore attachée
aux cérémonies chamanistes pour assurer la chance à la pêche et à la chasse.
Les injonctions du chaman qui traite un patient ou effectue une cérémonie pour
assurer un bon coup de filet à la pêche sont obéies sans question. Mais quand
il chamanise pendant une réunion sociale, en montrant son pouvoir pour le divertissement
de la compagnie, il ne peut pas être si sûr qu’on se conformera respectueusement
à ses souhaits; les esprits les plus audacieux, en de telles occasions,
essayent parfois de remettre en cause son autorité surnaturelle, et même de « taquiner »
le manieur de la mystique baguette de tambour.
Les événements sociaux qui rassemblent un
nombre respectable de personnes ne sont pas très fréquents parmi ces nomades
nordiques dispersés. Quelques-uns peuvent se réunir pour la foire annuelle du
Chapogir sur les berges de
C'est le nom qu'ils donnent à une compétition
d’intelligence ou à une querelle délibérément provoquée, dans lesquelles le chaman
est incité à utiliser ses pouvoirs surnaturels contre l’esprit simplement
humain d'un laïc. Ou encore, la lutte peut être entre deux chamans – une
épreuve de puissance chamaniste. Un cas typique est celui d'un concours entre
deux chamans, l’un Samoyède et l’autre Yakoute, qui s’est poursuivi pendant des
années, et où la scène des combats [la terre au début] a été transférée d'abord de la terre au ciel, puis du
ciel à l'eau et enfin sous l’eau. Bien que le Samoyède ait gagné - en provoquant
la mort de son rival, ceci n'a pas mis un terme à la lutte, qui a abouti à la
défaite du Samoyède - une reconnaissance tacite de la supériorité de la culture
Yakoute; car le conte était raconté par le frère du champion défait.
Quand un laïc se dresse contre un
adversaire qui peut appeler à son aide les ressources du monde spirituel, il
est notable que l'issue soit toujours décidée par le manque de puissance chamaniste,
aussi supérieur que le laïc puisse être par sa personnalité et par son intellect
à l'adepte. Une véritable tragédie - dont la catastrophe finale, pour autant
que je sache, est toujours en suspens - a été dévoilée devant nos yeux, celle d'une
famille détruite et disparaissant face à la malédiction d'un magicien, parce
que son chef avait grossièrement offensé les "esprits" de ce dernier.
Oedipe lui-même n'a pas été plus implacablement poursuivi par les instruments
des dieux offensés que n'était le berger Toungouse qui a osé offenser les
familiers d'un puissant chaman. Il était difficile de se débarrasser en outre
du sentiment que c'était en effet la cause du drame, et de s’accrocher à
l'explication rationnelle que les malheurs de cette famille apparemment frappée
par le destin étaient en partie une suite de coïncidences et en partie une
question de psychopathologie.
[Prêt
à maudire Chunga si son existence chamanique est remise en question]
[Je
suppose que c’est la photo ‘jaunie’ qu’il avait promise à Czaplicka, voir plus
loin]
Chunga, ou - pour employer son nom baptismal russe -
Nikolai Hiragir, est membre d'une des deux familles ou clans les plus influents
parmi les dix qui forment le groupe Limpiisk des Toungouses - un homme d’un
raffinement peu commun et de grande délicatesse pour un Toungouse, un gentilhomme
accompli. Nous l'avons rencontré la première fois dans la toundra sur notre
voyage extérieur, dans un chum,[tente sibérienne] où nos hôtes, dans leur curiosité, et comme dans la
plupart des autres endroits où nous nous étions arrêtés pour seulement une
heure ou deux, avaient oublié leur hospitalité. Sa bienvenue courtoise était en
heureux contraste à l'ardeur empressée à serrer la main des étrangers qui faisait
de nous le centre d'une petite foule - assez grande, cependant, pour nous priver
de la chaleur du feu placé au milieu du
chum. C'était Chunga qui, avec quelques mots calmes de commandement,
a dispersé la foule babillante et nous fit place au lieu de l'honneur près du
feu, qui fait face au rabat de la tente ; et quand nous avons commencé les
préparations pour le repas dont nous avions tant besoin, il nous a dit « quand
vous venez dans ma maison vous n'ouvrirez pas votre boîte à nourriture, »
combinant une invitation hospitalière avec un reproche à ses propres hôtes pour
avoir oublié leurs bonnes manières.
Chunga a été six fois "prince"
du peuple Limpiisk, de ce fait accomplissant dix-huit ans de service public -
un prince est élu pour une limite de trois ans par les hommes du groupe. Son
tact et sa mûre expérience sont toujours au service du prince en place et des anciens,
et ils sont fréquemment utilisés. Il était, encore récemment, le chef d'une
famille prospère de cinq fils et cinq filles ; son tact silencieux, son
port digne, et sagesse ont été reconnus et appréciés autant par les
fonctionnaires et les commerçants russes que par ceux de sa propre tribu.
Au printemps de l'année dernière Chunga alla
à la foire du Chapogir. C'est une réunion annuelle où des fourrures sont
échangées pour des dispositions et toutes choses de fabrication russe apportées
à la foire par les commerçants indigènes. Le Chapogir sont une tribu de
Toungouses qui vit dans la taïga (forêt) sur la banque méridionale de
Il se trouva qu’un certain commerçant Toungouse entreprenant
avait apporté une grande quantité de vodka d'un des villages russes sur le
Yenisei, et tout le monde à la foire était, et c’est une grosse litote,
légèrement spirituellement et même spiritueusement exalté. La faiblesse de
Chunga – un défaut qui a la pleine sympathie de tous ses compatriotes - est la vodka.
Ce qui suivit ne se serait jamais produit s'il avait été sobre, parce qu’il prend
trop en compte, prévenant en avance le sentiment des autres, quand il est
lui-même, pour parler légèrement de quelque chose à quoi ils sont attachés.
Il y avait à la foire un chaman Chapogir
bien connu. Chunga alla à son chum, pour parler amicalement et fumer une
pipe avec lui. Comme on l’a laissé entendre, Chunga était très ivre. Après que
l'échange habituel des salutations et des nouvelles, ils abordèrent
malheureusement la matière des mérites relatifs des chamans de Limpiisk et de
Chapogir. Chunga, bien qu'il n’ait jamais été un chamaniste dévot, avait le
devoir de soutenir que la magie de Limpiisk était d’un pouvoir supérieur. Le
Chapogir dit-il sont des personnes "sauvages", et elles ne peuvent
pas être censées avoir des chamans vraiment puissants. Solennellement le chaman
l’avertit de retirer ses paroles.
"Peuh!" dit Chunga, "tu
sais assez bien qui je suis. Un mot de moi au pristav (l’administrateur russe local) ou au pope, et
tu sais ce qui adviendra de ton manteau et de tambour."
L'utilisation du manteau cérémonial et du
tambour du chaman sont interdits par loi Russe, bien que Chunga sache très bien
que cette loi est maintenant pratiquement lettre morte.
Le chaman se leva, une lueur sinistre dans
ses petits yeux injectés de sang. Solennellement il prit son tambour. Pendant
que le cliquetis de tintement rapide augmentait et se gonflait en un tonnerre
éclatant, les auditeurs dans et hors de la tente cessèrent leur bruyantes négociations
et leur bavardage, et restèrent frappés d’horreur. Personne n'était malade, il
ne pouvait y avoir d’autre raison pour chamaniser dans la journée - c'était une
"malédiction" ! Chunga, dessoûlé par la terreur, restait tapi, immobile
au milieu de la tente, paralysé par la conscience soudaine de ce qu'il avait
fait. Seuls ses yeux semblaient vivants ; ils suivaient avec attention et abattement
la forme du chaman, sautant, se balançant toutes les fois qu’il passait dans
son champ de vision en dansant autour de la forme accroupie du blasphémateur.
De plus en plus fort, se renforça le chant du chaman. Il
appela Etigr, le porteur des orages, de la maladie et de la mort, à
venir dans son tambour, où son effigie, un serpent contourné en fer, sonnait comme
secouée dans une extase de tintement. Il invita Iinyan, qui porte le chaman
sur ses ailes jusqu’au monde des esprits, à entrer dans l'aigle de fer à figure
d’homme follement agité qui cognait et claquait contre le serpent. Il rassembla
dans le tambour la totalité des esprits dont les symboles, sous forme de
morceaux cliquetants de métal, déchiraient l'air agité autour de la tête de la
victime recroquevillée. Il conjura Iinyan pour le porter loin de la
terre, où aucun arrogant blasphémateur de Limpiisk ne pourrait l'atteindre pour
faire le mal, alors qu'Etigr ravageait le fautif avec son pouvoir. Puis,
de la façon des chamans du nord, il s’humilia devant les esprits obscurs, son chant
diminua d’intensité et cessa en de longs gémissements qui n’en finissaient pas-
« Chunga a offensé, non pas moi, pas moi, mais vous,
O esprits puissants. Je ne demande pas vengeance pour moi, mais pour vous.
Laissez Chunga me tuer s'il le veut, mais ne le laissez pas échapper à la
vengeance qu’il mérite. Car c’est vous qu'il a outragé, O Iinyan, O
Etigr ! en l’insulte qu’il a déposée sur votre serviteur ! Chunga
Hiragir vivra seul parmi ses rennes - seul comme cet index que je pointe - sans
enfant ni ouvrier pour l'aider. »
Il a cessé et s'est jeté à terre, les yeux
clos, le visage tordu, le corps agité de soubresauts, l’écume à des lèvres bougeant
par spasmes. Le tambour est tombé avec un claquement près de lui, le bâton a
décrit un cercle en l’air, comme s’il s’était arraché du chaman, et se coucha
aux pieds de Chunga, marque sans vie de la futilité de tout espoir d'éviter la
malédiction. Il le regarda fixement d’un œil terne. Les spectateurs l'ont
regardé,à demi curieux , à demi craintifs. Ils ont vu un homme, âgé, plié,
cassé, semblait-il, le poids de la malédiction déjà tombée sur ses épaules
voûtées.
L'histoire de cette malédiction m’a été
racontée par un vieil homme, du clan Yalogir, qui a pris la maison que Chunga occupait
à la foire. J'avais remarqué son air d'apathie découragée qui semblait peser sur
les occupants de la hutte d'hiver de Chunga tandis que nous étions ses invités.
C'était une famille condamnée, dit-il, et il continua à expliquer.
La malédiction avait commencé son effet avant
que j'aie rencontré Chunga. Quelques semaines avaient passé depuis sa fatale visite
à la foire, et bien que son esprit soit toujours dans l’attente d'un coup dont
il savait qu’il tomberait, rien de tangible n'avait eu lieu. Alors la nouvelle est
arrivée du sud que le chaman Chapogir était mort. Mais ceci n'a pas allégé le poids
de la crainte de Chunga; il savait qu'une malédiction ne meurt pas avec l'homme
qui l'a prononcée. En quelques heures son fils aîné, un bon jeune homme de
trente ans, tomba malade. C'était le point culminant de l'été court où les
familles de Toungouses se dispersent pour la chasse et la pêche. Mais Chunga ne
permit à aucun de ses enfants de quitter le lac où leurs tentes avaient été montées
pour l'hiver. Quoi qu’arrive à ses enfants, il préférait voir de ses propres
yeux le coup tomber. Il confia le soin du troupeau au mari de sa fille aînée, car
ces soins impliquaient des absences fréquentes de la maison.
Il essaya l'un après l'autre tous les divers médicaments
qu'il avait obtenus des commerçants russes sur le fleuve. L’état du jeune homme
ne cessa d’empirer. La mémoire lui faillit; il semblait vivre dans un monde à
part - un monde construit par le chaman – d’où il continuait à appeler à son
père au-dessus d’un gouffre de plus en plus large ; l'appelant par son
nom : "Chunga Hiragir ! Chunga Hiragir ! Chunga sera laissé
seul au milieu de son troupeau - seul comme cet index que je pointe."
Comment le garçon avait-t-il su ? Il n'avait jamais répété à une âme
vivante les mots qui nuit et jour faisaient écho en son coeur. Maintenant, en
tout cas, son épouse et enfants sauraient le destin qui les menaçait depuis le
nuage qui planait au-dessus de son ménage depuis qu'il était revenu de la taïga.
Chunga traversa le lac et la montagne au
delà, trouva son beau-fils, prit lui-même la charge du troupeau, et l’envoya pour
trouver quelque part, n'importe où, un chaman Limpiisk. L'homme fut pris
soudainement et violemment de maladie dans le troisième chum qu'il atteint dans sa quête. Ils
l'ont enterré là. Le même jour le fils le plus âgé de Chunga mourut. Son père revint
à la maison juste à temps pour entendre ses derniers mots : "seul
comme doigt."
Ceci avait lieu en été. Quand je suis
arrivé cet hiver au balagan (hutte
d'hiver) [le balagan est la hutte d’été] sur
le lac, Chunga avait encore un fils, un garçon de quinze ans. De ses filles,
l’une était morte, l’autre était très malade - sans espoir de rétablissement, ils
le croyaient - une troisième était proie à la mélancolie [la ‘mélancolie
sibérienne’ était une affection répandue, surtout chez les femmes] . Il paraissait merveilleux que la cadette ait eu un
prétendant qui était encore assez courageux pour souhaiter l'épouser. En vérité,
sa mère était une chamane et était peut être capable d’éviter la malédiction
pour lui et son épouse. L’aînée, maintenant veuve, avait en charge le
troupeau ; mais elle aurait bientôt à s’en aller, selon la loi usuelle des
Toungouses, chez la famille de son défunt mari. Chunga ne pouvait engager
personne pour travailler pour lui; personne ne se souciait de vivre dans une maisonnée
qui avait été si évidemment obscurcie par l'influence des esprits ténébreux. La
même idée fixe était un symptôme invariable dans la maladie de chacun des
enfants : ils continuaient à dire à leur père, "tu seras laissé seul,
comme ce doigt - pointant leur index, parmi tes rennes et tes richesses."
Les Toungouses dirent que le chaman mort était entré
dans les victimes. L'épouse de Chunga m'a offert un
sakui (un pardessus d'hiver à capuchon) qui avait appartenu à un de
ses fils morts. Quand je lui ai fait remarquer que le plus jeune garçon
pourrait bientôt le porter -
"Non," dit-elle, "il ne portera jamais un sakui d'homme."
Tous les autres, aussi, prenaient son
destin pour fixé, bien qu'il ait alors semblé en parfaite santé: "Pauvre
garçon!" disaient-ils toujours, quand ils en été parlaient – "Pauvre
garçon ! . . . "
Il était impossible de se débarrasser du
sentiment que cette malheureuse famille était désespérément empêtrée dans un
enchaînement du destin. Il arrivait toujours quelque chose pour confirmer cette
impression. La cadette et sa sœur mélancolique faisaient partie de notre convoi
quand nous avons continué notre voyage. Le traîneau de cette dernière était en
tête et sa sœur conduisait nos traîneaux à bagages juste devant moi. Il faisait
très sombre - à ce moment de l'année, il y a peu ou pas de jour - et nous
traversions une grande clairière. Soudainement mon conducteur tira brutalement
sur ses rênes, car les traîneaux de bagages avaient fait un écart au travers de
nos chemins, et les rennes mâles restaient debout à secouer leurs membres et à
grogner de terreur. Quel était le problème? Oh, rien, indiqua mon
conducteur ; les rennes avaient aperçu un loup parmi les arbres. Comme c'était
un incident ordinaire dans nos voyages, l'explication semblait satisfaisante.
Mais les deux sœurs se parlaient à voix basse près de mon traîneau. La cadette
essayait de convaincre sa soeur, et apparemment elle-même aussi, que c'était un
loup. Mais l'autre savait mieux
"Non, j'ai vu le Chapogir tout à fait tout
simplement, entre ces deux arbres là-bas vers la gauche. Mon renne a tressailli,
et j’ai regardé autour et je l’ai vu. Il ne faisait pas encore sombre comme
maintenant. Il ne me laissera plus."
Quand nous sommes revenus au printemps au
Monastère de Turukhansk pour attendre le bateau à vapeur qui devait nous emmener
vers le sud, Chunga est arrivé dans le petit village près du fleuve quelques
jours plus tard. Voyager était encore possible dans la toundra, bien que la
neige ait été profonde et molle, et il y avait l'eau libre ici et là le matin
après son arrivée. Sa démarche était un rien instable, ses yeux étaient troubles,
mais ses manières n’avaient perdu en rien de leur courtoisie pendant qu'il
expliquait son problème. Il avait besoin de cinquante roubles. Pourrais-je lui
les prêter? Il retournait chez lui le même jour. Il enverrait l'argent par son
beau-fils avant que le premier bateau ne soit arrivé. Il n'y avait pas moyen de
refuser, aucune excuse honteuse n’était possible ; il a été évidemment certain,
comme une chose qui va sans dire, que j’aiderai mon ami dans le besoin, juste
comme il aurait agi pour moi dans un cas semblable. Il m'a remercié simplement
pendant que je lui comptais les billets. Son beau-fils devait également
m'apporter la photographie qu'il m'avait promise, prise probablement par un
géologue russe, la seule photographie dans toute la toundra de Limpiisk.
Les jours passèrent. Les neiges fondaient
rapidement. Chaque jour, on s’attendait à ce que le fleuve "se
déplace." Le fils de la chamane n'était pas arrivé encore. On nous dit
même un jour que le Yenisei était ouvert à Verkhne-Imbatskoye, à trois jours au
sud. Tôt le matin d’après, un messager du commerçant me remit un paquet. Il contenait
cinquante roubles et une photographie jaunie. Le beau-fils de Chunga le lui
avait apporté tard la nuit passée. Non, il n’aviat fait aucune affaire avec le
commerçant. Il était parti immédiatement. Il n'y avait plus de temps à perdre.
Son itinéraire se trouvait le long de
Au petit déjeuner que nous fûmes abasourdis par un
bruit semblable à un coup de tonnerre. Nous nous sommes précipités dehors vers
la rive du fleuve.
[Le tombeau (probable à mon avis) du gendre
de Chunga]
Mais
maintenant encore je frissonne en pensant - c’est évidemment absurde - que
peut-être moi aussi, j’ai été entraînée dans les mailles de la toile tissée
pour la destruction de Chunga, et devenue un instrument involontaire de la
vengeance du chaman mort.
[Ce livre a été publié dans une collection de vulgarisation, My Siberian Year, et Czaplicka ne pouvait certainement pas choquer ses lectrices en affirmant des idées trop opposées aux croyances canoniques. D’un autre côté, cet aspect de vulgarisation lui permet de dire simplement ce qu’elle pense sans être obligée de se cacher derrière le masque universitaire comme dans son autre livre sur les sibériens, Aboriginal Siberia.
Je voudrais souligner l’attitude étrange de Chunga qui trouve moyen d’emprunter de l’argent à quelqu’un qu’il sait sur le départ. A-t-il voulu justement l’entraîner dans les mailles de la malédiction ? Toujours est-il que Czaplicka n’a pas pu trouver de poste stable en Angleterre (une honte qui m’a beaucoup touché – mais qui n’explique pas tout), que l’homme qu’elle désirait épouser s’est marié à une autre, qu’elle a été dans une situation financière désespérée et qu’elle a fini par se suicider en 1921]